La situation de départ est spectaculaire. Quelques semaines avant que le Parlement suisse ne se prononce probablement sur un nouvel avion de combat, un conseiller national, membre même de la Commission de la politique de sécurité, écrit un livre sur son acquisition. Le Choix du F-35. Erreur grossière ou scandale d’Etat? est le titre du livre de Pierre-Alain Fridez (PS, JU) qui paraît ce vendredi*. Fridez est médecin et par ailleurs membre de la délégation parlementaire de l'Otan.
Dès les premières pages, il apparaît clairement que le «ou» du sous-titre est en fait un «et» et que la question est au mieux rhétorique. Fridez est le Carnifex au verdict clair, ennobli par la préface d'une ancienne conseillère fédérale. Micheline Calmy-Rey, comme Pierre-Alain Fridez, socialiste, écrit:
Comme si cela ne suffisait pas à créer le suspense, Fridez renchérit: «Je vous invite à lire ce livre comme un roman policier, un livre noir qui examine sans ménagement l'opacité d'une procédure qui soulève de nombreuses questions et qui a conduit à une décision totalement incompréhensible du Conseil fédéral, dont les conséquences peuvent être lourdes pour notre pays, notamment sur le plan financier.» Celui qui repose le livre après une telle entrée en matière n'a jamais aimé la politique suisse.
Après le furioso de départ, Fridez ralentit le rythme. Il examine sobrement les raisons pour lesquelles le Conseil fédéral veut un nouvel avion de combat et quelles doivent être ses exigences. Cela semble banal au premier abord, mais c'est justement ce qui révèle le changement du débat.
Ce n'est qu'avec la guerre en Ukraine que la ministre de la Défense Viola Amherd a augmenté l'urgence de l'achat. Tout à coup, il a été question de la situation météorologique générale en matière de politique de sécurité – alors qu'à l'origine, ce sont surtout les services de police aérienne qui étaient au centre de l'acquisition. Le mantra de Fridez consiste à souligner le «oui» fondamental du peuple à un nouveau jet. Une décision qu'il respecte en tant que «démocrate». Entre les lignes, on peut voir des dents grincer.
Par la suite, le livre se concentre sur la classification du F-35 comme inadapté à la Suisse. Tous les reproches ne sont pas nouveaux, mais ils ont été soigneusement compilés à partir d'innombrables articles de presse, nationaux et internationaux, de médias de masse et de revues spécialisées. Fridez se révèle être un chroniqueur méticuleux, sans être trop ennuyeux avec des finesses techniques. Même les non-aviateurs peuvent comprendre pourquoi le conseiller national PS n'aime pas le jet. Même s'ils ne comprennent certainement pas tous les arguments en détail.
L'argumentation de Fridez est également claire lorsqu'il s'agit de chiffres, comme les coûts prévisionnels du carburant. On peut aisément s'imaginer Fridez s'asseoir avec un petit carnet de lait, décomposer les 35 millions de francs budgétés pour la durée totale d'exploitation en une règle de trois pour chaque heure de vol, puis les comparer aux valeurs empiriques d'autres pays. Mais le ton monte de plus en plus. Fridez devient plus criard, plus jugeant, plus autoritaire. C'est dans cette partie que les points d'exclamation s'accumulent. Le message est clair: le F-35 ne peut pas être aussi bon et rentable qu'on le prétend.
Cette constatation prépare le terrain pour ce qui constitue pour Fridez le cœur de son livre. L'auteur s'est penché en détail sur un avis de droit rédigé par l'Office fédéral de la justice deux jours seulement avant la décision du Conseil fédéral sur le type de F-35. Il devrait établir que les motifs de politique étrangère n'entrent pas en ligne de compte dans le choix de l'avion de combat. C'était le coup de poignard final pour le Rafale français, qui avait apparemment des soutiens au sein du Conseil fédéral jusqu'au dernier moment. Pour Fridez, il ne fait aucun doute qu'une procédure d'évaluation opaque a empêché une solution plus attrayante pour la Suisse en matière de politique étrangère.
C'est précisément là qu'intervient le gros défaut du livre de Pierre-Alain Fridez. Celui-ci comble les lacunes de la recherche par des suppositions. Il avance deux hypothèses: Soit des «technocrates déconnectés du monde» sont à l'œuvre au sein du Département de la défense, aveuglés par le faste technique du jet américain. Soit, et c'est la pire, un petit cercle aux intérêts politiques particuliers. L'auteur écrit:
Pour Pierre-Alain Fridez, cela ne fait aucun doute:
Dans de tels passages, Fridez fait penser à un théoricien de la conspiration avec sa méthodologie de questionneur innocent, y compris le topos transatlantique. Il n'essaie même pas de rendre ses hypothèses plausibles. «Avec les informations dont nous disposons aujourd'hui, nous ne pouvons évidemment pas prouver une telle théorie», écrit-il. Mais elle est possible, «d'autant plus que certains témoignages, qui souhaitent rester anonymes, vont dans ce sens...» Difficile de faire plus diffus, bien trop peu pour les accusations de complot annoncées, pour les thèses abruptes.
Interrogé, l'homme politique et écrivain invoque la liberté d'expression et la volonté de raconter une histoire. Assez maladroit pour quelqu'un qui se vend avec la crédibilité d'un politicien de la sécurité, d'un initié donc.
Pourtant, Pierre-Alain Fridez n'aurait pas eu besoin de s'asseoir sur une branche aussi branlante. L'accord sur les avions de combat suisses, sans aucune exagération, aurait donné suffisamment de matière à un livre bien documenté, un exemple concret des incitations de la politique suisse. Mais le socialiste ne parvient pas à sortir de son coin idéologique et se prive du spectacle promis.
*Pierre-Alain Fridez, Le Choix du F-35. Erreur grossière ou scandale d’Etat? (Editions Favre), 344 pages. Disponible au prix de 20,50 dans la plupart des librairies et des boutiques en ligne.