«Mon fils m’a dit: "Tu vois, maman, même chez nous, c’est devenu comme ça"». En première année d’économie et management à l’Université de Genève, le fils de Martina Chyba, la journaliste de la RTS bien connue des Romands, jointe par watson, ne pourra pas assister, ce mercredi, 26 mai, à la réunion préparatoire à la Grève des femmes du 14 juin. Qu’est-ce qui l’en empêche? Son sexe, ou plutôt son genre. «Homme cis-genre», dans le jargon néo-féministe. Autrement dit, du moins le suppose-t-on, à l’aise dans ses baskets identitaires de mec chaussées à la naissance.
Le fils de Martina Chyba aurait bien voulu aller voir, participer à cette «assemblée féministe», une cause qui parle à ce jeune homme. Mais l’email envoyé par la Conférence Universitaire des Associations d’Etudiant.e.x.s (CUAE), l’association faîtière des étudiants et étudiantes de l’Université de Genève, le 19 mai, à l’ensemble de ses membres, au moyen de la messagerie officielle de l’Université de Genève, était si l’on peut dire très clair: «Cette assemblée aura lieu en mixité choisie sans hommes cis-genres», était-il précisé avec une astérisque à «cis-genres», renvoyant à une notule explicative.
«Mixité choisie»? Manière contournée de dire «non-mixité». Et de faire comprendre que seules les femmes et les personnes transgenres sont admises à la séance du 26 mai, au cours de laquelle il sera question d’«inclusivité» et des revendications à défendre le 14 juin. Bref, ce que la société continue d’appeler les «hommes», qu’ils soient hétérosexuels ou homosexuels, ne sont pas les bienvenus à cette réunion.
Martina Chyba se définit avec ironie comme «une vieille représentante du féminisme universaliste et laïque», à l’opposé du «féminisme intersectionnel» mêlant religions, races et genres dans une approche minoritaire. Cheffe de l’Unité Magazine & Société TV à la RTS, elle s’est exprimée à ce sujet, il y a six jours déjà, sur le réseau social Linkedin, suscitant plus de 270 commentaires. Un «carton». Elle y partageait son vif mécontentement:
«Que je me résume: j’ai inscrit mon fils dans une institution publique payée par mes impôts (élevés), dont le but est de former les forces vives intellectuelles de la nation à l’esprit critique et au débat», posait-elle. «Mon fils n’a jamais vécu de débat, tout est en ligne, cours et examens, depuis un an. Et lorsqu’il y a une discussion intéressante pour l’avenir du pays, sur la place des femmes, il en est exclu juste de par son sexe, par l’organisation qui est censée le représenter. Chouette monde».
La prise de parole de la journaliste vedette a alerté le rectorat de l’Université de Genève. Quand, mardi 25 mai, nous lui avons demandé de réagir au fait que l’association censée représenter le corps étudiant dans son universalité en discriminait objectivement une partie, sa réponse était toute prête, sonnant comme une désapprobation à la fois ferme et polie.
«L’option de "mixité choisie" ne reflète pas la politique de l’Unige (réd: Université de Genève) qui privilégie les approches inclusives et pluridisciplinaires, mais nous comprenons cette démarche que nous respectons», écrit le rectorat. «Les associations reconnues par le Rectorat, les syndicats et les organes participatifs, poursuit-il, ont néanmoins le droit d’envoyer des messages à l’entier de la communauté universitaire par le biais de la messagerie de l’institution. Leur contenu ne reflète en aucun cas une position du Rectorat qui s’assure simplement avant diffusion du respect du cadre légal et réglementaire. Le respect de la liberté d’expression est élément essentiel de la vie académique».
Le rectorat ne cautionne donc pas cette «assemblée féministe» dans les faits interdite aux hommes, mais, devançant la question, l’estime légale. Me Grégoire Rey, avocat à Genève, le confirme à watson: «Une association est une structure de droit privé, elle a le droit d’édicter ses règles. Cette assemblée non ouverte aux hommes est légale, même si on peut la juger contreproductive en ce qu’elle risque de braquer les hommes contre les femmes», estime l’avocat, qui défend par ailleurs l’un des collaborateurs de la RTS mis en cause par l’enquête du Temps sur les «graves dysfonctionnements» survenus au sein de la chaîne publique.
Contactée par watson, l’association estudiantine au centre des débats, la Conférence Universitaire des Associations d’Etudiant.e.x.s (en écriture inclusive, «x» renvoyant aux personnes sans genre véritablement défini), n’a pas souhaité faire de commentaires. Mais dans son entourage, on s’étonne que «le focus d’une partie des médias soit toujours mis sur la non-mixité et pas sur de réelles questions féministes».
Le milieu en question défend «la pertinence de cette assemblée féministe en réunion non mixte». «Nous n’avons pas à nous soucier de la peine que cette démarche pourrait faire à certains hommes se sentant exclus du processus», justifie-t-on. «Les hommes appartiennent au cercle des dominants depuis des millénaires, les femmes, des dominés et ils doivent comprendre cela et admettre que c’est entre personnes concernées que les revendications doivent être discutées».
Les réunions non mixtes, organisées sur des critères d'«appartenance» (sexe, genre, couleur de peau, etc.), ont parfois un côté «thérapie de groupe». Des personnes peuvent y «vider leur sac» et tenir alors des propos qui pourraient paraître blessants même aux alliés des causes défendues, en l'occurrence non admis à ces discussions. «Il s'agit donc», explique-t-on encore, «de ne pas passer son temps à rassurer ou consoler des individus qui ne font pas partie des "victimes structurelles"».