Samedi soir à Lausanne, une bande d'une centaine de casseurs armés de quelques pavés et même d'un cocktail Molotov a déferlé sur le Flon. Le but? Aller casser quelques vitrines, notamment de la Fnac et du magasin de chaussures Pomp it up.
Un geste vaguement militant à l'heure des émeutes en France consécutives à la mort du jeune Nahel.
Difficile de ne pas voir dans les actions de Lausanne un effet de contagion avec la France. Rémi Baudouï, professeur à l'université de Genève et spécialiste en politiques publiques, développement social, villes et sécurité, a répondu aux questions de watson. D'autant plus que ce docteur de Sciences Po et de l'Institut d'urbanisme de Paris connaît bien l'Hexagone.
Quel est votre regard sur ce qui s'est passé à Lausanne, ce week-end?
C'est le principe de l'émeute, qui repose sur de l'émotionnel et démarre au quart de tour. Cela peut arriver en Suisse comme en France, mais la situation française libère une forme de violence spécifique trouvant des échos dans nos contrées. On peut parler d'un effet psychologique de mimétisme. En pratique, cela peut amener à des vols ou des pillages. Et certains sont organisés avec une volonté explicite de vider les commerces.
Le lien avec les évènements ayant eu lieu en France reste toutefois évident, non?
Les contextes sociaux et politiques sont complètement différents.
L'Etat n'arrive pas à avoir une position claire sur le sujet, qui n'est pas résolu. Cela, je ne peux pas le mettre sur le dos de la Suisse. Je ne fais donc pas de lien consécutif entre les situations des deux pays.
Les émeutes se sont propagées en Belgique puis en Suisse. Un peu plus tôt dans la soirée hier, des violences ont été signalées à Lausanne, en Suisse. Plusieurs magasins ont été vandalisés. Les forces de sécurité ont été déployées. pic.twitter.com/5BbyqlZQqU
— Renard Jean-Michel (@Renardpaty) July 2, 2023
Et comment analysez-vous la situation dans l'Hexagone?
La France connaît un débat important depuis plusieurs décennies sur les politiques de la ville. Il faut reconnaître qu'Emmanuel Macron a manifesté depuis le début de son premier mandat une présence physique en allant dans les banlieues et en allant au contact de sa population. Mais il a aussi refusé de mettre en œuvre le plan Borloo en 2018.
En 2005, la France avait vu ses banlieues s'embraser et la situation avait aussi débordé sur la Suisse par endroits. Quelle différence en 2023?
Désormais, les jeunes sortent des banlieues et débarquent en centre-ville pour tout casser. Cela fait penser aux émeutes de Los Angeles, en 1992 (réd: après l'acquittement des policiers dans l'affaire Rodney King). Il y a aussi beaucoup plus de mineurs présents, en France comme en Suisse.
Pensez-vous que la situation va dégénérer en Suisse?
A mon avis, non. En France, il y a un sentiment de déconnexion et de déclassement dans les banlieues, avec un Etat sécuritaire qui n'investit plus suffisamment dans les questions de prévention, d'intégration scolaire, mais aussi citoyenne ou professionnelle. Ici, l'organisation politique comme le système policier sont basés sur la proximité, que ce soit dans une commune ou à l'échelle du canton.
Il y a une capacité à discuter assez impressionnante, pour tout dire. En France, la logique est celle du décrochage. Elle a essayé de repenser ses polices en termes de proximité, mais ça ne marche pas. C'est l'Etat qui est là pour assurer la sécurité. Et si l'Etat décroche, les territoires partent à vau-l'eau.
On a quand même vu des émeutiers à Lausanne balancer des pavés sur la police, et un cocktail Molotov a été lancé...
En France, les cités progressent dans leur niveau de violence par effet de mimétisme, et puis cela passe inévitablement la frontière à un moment ou à un autre, avec quelques «îlots» sporadiques où la tension est forte, comme on l'a vu à Lausanne.
Les ressorts politiques, sociaux et surtout démocratiques sont beaucoup plus costauds en Suisse qu'en France. Cela permet de trouver des solutions assez vites, avec des solutions pas juste déléguées à l'Etat, qui tente désespérément de contenir tout cela.