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Mort de Nahel: un policier suisse aurait-il aussi tiré? Réponse

Raphaël Jallard, directeur école de police Jura, Neuchâtel et Fribourg
Le décès du jeune Nahel à Nanterre, en France, pose la question de l'usage de l'arme et des conditions d'interpellations. Qu'en est-il en Suisse romande?

Un policier suisse aurait-il aussi tué Nahel? Ce spécialiste explique

Le décès du jeune Nahel à Nanterre, en France, pose la question de l'usage de l'arme et des conditions d'interpellations. Qu'en est-il en Suisse romande? Raphaël Jallard, directeur de l'école de police qui réunit les cantons de Neuchâtel, Fribourg et Jura nous répond.
06.07.2023, 18:4907.07.2023, 10:31
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Course-poursuite, méthode d'interpellation et usage de l'arme, l'intervention policière qui a couté la vie au jeune Nahel, en France sera analysée sous toutes les coutures dans les prochaines semaines. L'Hexagone comptait en 2021 290 tirs ayant entraîné la mort de 10 personnes. En Suisse, pour la même année, les policiers ont fait usage de leur arme à six reprises causant la mort dans un cas, selon la Conférence des commandantes et commandants des polices cantonales.

Dans quels cas le policier peut-il faire usage de son arme? Quels sont les moyens dont il dispose lors d'une course-poursuite? Raphael Jallard, directeur du Centre Interrégional de Formation de Police (CIFPOL) Fribourg, Neuchâtel & Jura répond à nos questions.

Raphaël Jallard, directeur école de police Jura Neuchâtel Fribourg
Raphaël Jallard, directeur école de police Jura Neuchâtel Fribourgcifpol

En tant que responsable d'une école de police, que pensez-vous de l'intervention qui a mené au décès du jeune Nahel en France?
Je ne vais en aucun cas m'exprimer sur cette affaire. Cela se déroule en France, les policiers sont confrontés à une criminalité différente de la nôtre, le rapport de confiance avec la population est différent. Ils ont d'autres méthodes d'interception et il faudrait connaître tout le contexte qui a mené à cette situation. Ce que je peux vous dire, c'est qu'en Suisse, il est rare que les policiers engagent leur arme. Il y a eu 6 recours aux armes à feu, dans notre pays en 2022. Par contre, je peux vous assurer que les policiers sur le terrain sont de plus en plus sensibilisés aux conséquences de cet acte via les formations.

C'est-à-dire?
On en parle entre nous.

«On se demande ce qu'on aurait fait dans ces circonstances»

Ce sont des situations difficiles et la portée de cet acte est de plus en plus discutée entre agents de police.

Sommation et utilisation de l'arme

Justement, dans quel contexte les policiers peuvent-ils utiliser leur arme en Suisse?
Il y a plusieurs situations dans lesquelles les policiers peuvent faire usage de leur arme. Selon le Règlement sur l'usage de l'arme du 5 décembre 1988 et qui est valable partout en Suisse, les voici:

  1. Lorsque la police est attaquée ou menacée d'une attaque imminente, c'est ce qu'on appelle la légitime défense.
  2. Lorsqu'en présence de la police, un tiers est attaqué ou menacé d'une attaque imminente, c'est la légitime défense d'un tiers. Cela peut, par exemple, se dérouler lors d'attaque dans des lieux publics où la personne tire ou blesse des passants.
  3. Pour permettre à la police de s'acquitter de sa mission notamment lorsqu'une personne, ayant commis ou étant fortement soupçonnée d'avoir commis un crime ou un délit grave, ou faisant courir à autrui un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé, tente de se soustraire par la fuite à une arrestation ou à une détention en cours d'exécution.
  4. Pour libérer un otage, dans le cas d'un tireur d'élite.
  5. Pour empêcher une atteinte criminelle grave et imminente pour à des installations servant à la collectivité et dont la destruction lui causerait d'important préjudice.

Je rappelle que le recours aux armes doit être proportionné aux circonstances est autorisé comme ultime moyen de défense ou de contrainte.

L'usage de l'arme doit-il toujours être précédé d'une sommation?
On enseigne à l'école de police que lorsque l'on sort notre arme, on dit toujours «stop police». On doit s'identifier en tant que policier et effectuer cette sommation. Après, bien évidemment, tout dépend du contexte d'urgence. Si la personne vous surprend, on n'aura peut-être pas le temps de le faire.

«Ce que l'on constate sur le terrain, c'est qu'en principe, le "stop police" fige les personnes»

Et si l'effet dissuasif du «stop police» ne fonctionne pas?
Vous savez, quand on sort l'arme, on doit toujours être prêt à l'engager, c'est-à-dire à tirer. Si la personne en face de moi a un couteau, qu'elle ne se fige pas après sommation, qu'elle court dans ma direction alors que je me trouve dans un lieu confiné, je dois penser que mon arme sera engagée.

«Dans ce cas particulier, à 5 ou 7 mètres, on dit dans la pratique qu'il y a possibilité de tirer»

Mais tout cela, c'est de la théorie, car sur le terrain, tout se passe très vite. Le stress, l'adrénaline et l'effet tunnel composent cette situation très particulière. Le policier doit prendre une lourde décision à la seconde près avec tout ce que cela comporte comme conséquences.

Qu'est-ce que l'effet tunnel?
Cet effet est régulièrement évoqué lorsque l'on est confronté à une situation de crise ou de stress intense. Il s’agit d’une focalisation de l'attention sur un élément, excluant toutes les autres informations que nous avons dans notre environnement.

Lorsque l'arme est engagée, comme vous le dites, le policier doit-il viser certaines parties du corps? Les agents apprennent-ils à tirer ailleurs, dans les jambes ou autre?
Alors oui. On apprend à tirer «ailleurs» comme vous le dites, mais d'une manière générale, quand on est en formation, on vise «une masse». On utilise des cibles qui ont une certaine forme et on ne vise pas spécifiquement une partie du corps. L'objectif est de neutraliser la personne menaçante. Le policier va viser la masse et la personne doit être impactée et se figer.

«En légitime défense, on n'a pas le temps d'aligner les organes de visée, c'est-à-dire d'effectuer un tir de précision. L'objectif est de stopper la menace»

Généralement, on ne se relève pas d'un tir non?
Le tir doit figer la personne, mais parfois cela n'a pas l'effet escompté et certaines personnes continuent d'être menaçantes. Cela peut paraître surprenant, mais parfois après un tir, les personnes peuvent continuer à venir au contact du policier et attenter à sa vie.

Courses poursuites et proportionnalité

Dans un cas de course-poursuite, par exemple, quelles sont les méthodes enseignées aux policiers pour interpeller les individus?
Pour les courses-poursuites, l'idée est de faire appel à d'autres patrouilles en renfort, cela prend du temps et nécessite de pouvoir s'organiser «dans le feu de l'action».

Vous utilisez du matériel spécifique comme des herses ou autres?
Oui. Mais il faut toujours prendre en compte le contexte. On peut mettre des barrages en place quand on peut estimer la direction de fuite du véhicule et «anticiper» son trajet. En campagne ou en périphérie, il y a moins d'axes routiers et ce sera plus propice aux barrages routiers, mais cela peut être plus délicat en milieu urbain, par exemple.

«Ce qu'il faut retenir aussi c'est qu'on doit en permanence se poser la question de la proportionnalité de nos actions»

Comme?
Et bien, nous assurer que les mesures que nous prenons soient proportionnelles à l'infraction commise. On ne tire pas sur un cambrioleur en fuite s'il ne présente pas de danger sérieux et imminent, ni pour soi, ni pour un tiers.

Dans les cas des courses-poursuites, il pourrait arriver qu'on renonce à la poursuite car le chauffeur met des passagers mineurs en danger, voire nous-mêmes, de manière non proportionnée.

Renoncer à l'arrestation

La police peut donc renoncer à l'arrestation?
Oui dans l'immédiat. Si vous poursuivez quelqu'un qui a grillé un feu rouge par exemple et que cette personne accélère à des vitesses très excessives et se met à zigzaguer dans la circulation en mettant en danger gravement d'autres usagers en voyant la patrouille de police. Il faut se poser la question des moyens mis en oeuvre pour arriver à nos fins:

'Est-ce que les moyens engagés sont proportionnels à l'infraction et est-ce que la poursuite ne risque pas de rendre la situation encore plus dangereuse?'

Je vous donne l'exemple d'un reportage TV dans lequel on voyait une patrouille de police française poursuivre un chauffard. Celui-ci à la vue de la police a pris de grands risques en accélérant subitement et en roulant à très grande vitesse en agglomération. Il avait des enfants en bas âges assis sur les sièges arrière la voiture. Les policiers ont donc décidé d'arrêter la poursuite, car la situation était trop dangereuse.

On ne va pas prendre de tels risques pour une infraction routière.

Celle-ci étant de peu de gravité dans le contexte général. Bien entendu, si cela concernait des auteurs d'une infraction grave, par exemple, des braqueurs ayant fait usage de leurs armes, la décision pourrait être tout autre.

Mais si vous renoncez à arrêter l'individu, vous ne remplissez en quelque sorte pas votre mission?
Alors oui. Mais il y a potentiellement d'autres moyens d'enquête, si nécessaire, pour retrouver la personne, notamment grâce au numéro de plaque ou d'autres méthodes. On ne va peut-être pas arrêter la personne le jour même, mais on aura les informations et on pourra le faire plus tard.

Vous avez l'air d'y tenir à votre proportionnalité?
Oui, car cette notion paraît simple, mais elle est beaucoup plus subtile que cela. Dans le feu de l'action, on y pense moins. Prenez une course poursuite par exemple, on peut se dire: 'Je vais arrêter le chauffard au prochain carrefour et on continue...'

«L'analyse de la situation et la proportionnalité de l'engagement doivent toujours être au cœur des interventions»

Mais là, je vous parle de ce que l'on enseigne en cours, dans une salle de classe, sas stress, ni pression. Dans la réalité, c'est beaucoup plus complexe. Pour ma part, je n'ai pour l'heure jamais engagé mon arme en intervention.

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source: sda / michel canonica
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