Mardi 27 juin, vers 8h30, Nahel, un jeune homme de 17 ans au volant d'une Mercedes, refuse de se soumettre lors d'un contrôle de police à Nanterre. La situation dégénère, un policier sort son arme et fait feu. La scène est filmée, elle fait le tour des réseaux sociaux. L'adolescent est décédé, la France s'embrase.
La mort du jeune Nahel n'est pas un cas isolé. Au contraire. Rien que l'année dernière, treize décès ont été enregistrés après des refus d'obtempérer lors de contrôles routiers, établissant un record français. A titre de comparaison, un seul décès est à déplorer en Allemagne sur les dix dernières années. Si, dans l'Hexagone, certains policiers auteurs de ces tirs mortels ont été mis en examen, ce n'est pas le cas de tous les représentants des forces de l'ordre qui ont ouvert le feu.
Pour expliquer cette hausse de tirs létaux, la droite et les syndicats policiers évoquent une augmentation de la violence au volant. Mais pour la gauche et des chercheurs, c'est la réforme d'une loi en 2017 qui est en cause: les policiers n'ont désormais plus besoin d'être en position de légitime défense, dans une situation d'urgence, de menace immédiate, pour faire usage de leur arme. Par exemple, si après «deux sommations à voix haute, ils ne peuvent défendre les lieux ou les personnes qui leur sont confiées», si les occupants d'un véhicule sont «susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d'autrui», l'usage d'une arme à feu est autorisé.
Avant la modification de la loi, les policiers étaient soumis aux mêmes règles que le citoyen lambda, c'est-à-dire que le tir par arme à feu était considéré comme une infraction, «sauf si les conditions d’irresponsabilité sont remplies ou qu’il s’agit d’une situation de légitime défense». C'est ce qu'expliquait Méryl Recotillet, juriste spécialiste en droit pénal, dans le journal Le Monde. Soit la légitime défense.
Le politologue spécialiste des questions de police et directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) Sebastian Roché, interrogé par le journal Le Temps, souligne qu'une hausse des cas a été observée précisément depuis l'assouplissement de la loi en 2017.
Ça doit surtout interroger ceux qui ont voté la loi du 28 février 2017 qui laisse croire aux policiers que c’est une bonne idée de tirer sur des personnes qui ne représentent pas une menace immédiate. https://t.co/ubq7xuiv8J
— sebastian roché (@sebastianjroche) June 27, 2023
Pour Christian Mouhanna, sociologue et chercheur au CNRS interrogé par Le Monde, le texte de loi est devenu flou.
Interrogé aussi par L'Obs, Sebastian Roché abonde et relève une incohérence: «Ce nouveau cadre légal introduit une importante incertitude juridique, la loi étant sujette à l’interprétation des policiers. Elle contredit par ailleurs deux principes fondamentaux de la Cour européenne des droits de l’homme, qui encadre la possibilité de tirer: l’absolue nécessité de tirer et la proportionnalité dans la réponse. Le présupposé, derrière la loi de 2017, est que le policier a forcément raison dans son interprétation, et qu’il répond à un "ensauvagement" de la société.»
Par ailleurs, selon Sebastian Roché, dans le cas de la mort de Nahel, les policiers n'étaient pas dans une situation à risque d'après la vidéo de la tentative d’interpellation.
Les spécialistes relèvent tous deux également le manque de formation de la police sur cette question. Sebastian Roché, lui, a publié une analyse intitulée Homicides policiers et refus d'obtempérer – la loi a-t-elle rendu les policiers irresponsables? en 2022, en collaboration avec d'autres chercheurs dans la revue Esprit. Il y pointait le fait que «la formation des fonctionnaires de police [a été] réduite de douze à huit mois en juin 2020».
Un constat partagé par Christian Mouhanna, comme l'écrit Le Monde: «Avec le besoin de policiers pour des événements passés et à venir (attentats, gilets jaunes, réforme des retraites, Jeux olympiques…), il y a un "sacrifice du temps de formation"».
Sebastian Roché pointe l’administration, qui a introduit ces changements dans la loi, sans s'assurer que les policiers étaient correctement formés et la loi comprise par les forces de l'ordre.
Toujours selon le politologue spécialiste des questions de police, il ne s'agit pas de fautes individuelles de la part de quelques agents, mais d'une question plus globale. «Ces homicides relèvent d’un problème systémique.»