On entend fréquemment des gens comparer la crise que nous traversons depuis deux ans avec la Seconde Guerre mondiale. Ce rapprochement vous semble-t-il adéquat ou complètement hors de propos?
Laurent Tissot: Je ne serais pas aussi affirmatif. Ce n'est ni tout blanc, ni tout noir. Sur certains points, la comparaison est faisable. La Seconde guerre mondiale a entraîné certaines mesures que nous sommes en train d'expérimenter aujourd'hui: fermeture des frontières, extinction des feux, mesures d'enfermement pour protéger la population... Il découle une vraie peur de ces restrictions de liberté. L'année dernière, Emmanuel Macron avait évoqué «la guerre contre le virus». Toutefois, la grosse différence entre les deux situations, c'est que la Seconde Guerre découle d'évènements particuliers. C'était une guerre militaire, liée à l'affrontement d’idéologies (nazisme, communisme, libéralisme...) qui s’opposent entre elles pour assurer leur domination.
Le contexte technologique et économique est différent aujourd'hui. Certes, on veut vaincre une pandémie, mais de manière métaphorique: ça reste lié à des mesures sanitaires et non militaires.
Certains anti-vaccins vont jusqu'à comparer leur «mise à l'écart» de la société à la Shoah vécue par les Juifs...
C’est complètement irraisonnable et cela n’a rien à voir. Je trouve très contestable que le terme «Shoah» soit apparu parmi les personnes qui résistent aux mesures sanitaires. Le fait d’être confiné, stigmatisé, d'être – à tort ou à raison – dénoncé parce qu’on ne suit pas les mesures édictées par le gouvernement, a entraîné chez certains individus l'idée qu'on retourne aux conditions vécues par les Juifs.
Historiquement, ce n’est pas vrai. Les anti-vaccins sont mis à l'écart pour des raisons qui leur sont propres. Ils décident en tout état de cause de se faire vacciner ou non. Donc forcément, s'ils refusent, ils sont touchés par des mesures. Leur choix est délibéré et mûrement réfléchi. Or, le fait d’être juif entraînait une discrimination qui était tout sauf un choix! On était juif ou on ne l’était pas. Une fois qu'on portait l'étoile jaune, notre vie était menacée et on pouvait être entraîné dans les camps. Ce sont deux contextes qui n’ont rien à voir, même si on peut observer quelques similitudes entre les deux périodes.
Pourquoi éprouvons-nous ce besoin fréquent de tirer des parallèles entre les périodes historiques?
Nous sommes rassurés par l'idée que l'Histoire peut nous donner des leçons. En allant puiser des exemples dans le passé et les épisodes antérieurs, en tirant des conséquences, nous obtenons des réponses potentielles pour le présent.
Ceux qui exploitent la Shoah veulent dénoncer des restrictions de liberté qu'ils jugent injustes. A l'inverse, d'autres utilisent l'exemple de la grippe espagnole de 1918, qui a fait entre 50 et 80 millions de morts et pour laquelle il n'existait pas de vaccin, pour prouver l'importance de cette avancée technologique.
On peut donc s'approprier des exemples historiques qui vont dans des sens contradictoires! Un écrivain disait: «l’Histoire donne des exemples de tout, donc elle ne sert à rien». Je n'irais pas aussi loin. Il faut seulement se garder de sur-simplifier et de tirer des conclusions hâtives, car chaque contexte est particulier. Il faut constamment relativiser les choses.