Le plus vieux château des Habsbourg est suisse et va changer de mains
L’auberge de jeunesse du château d'Altenburg a été exploitée sans interruption depuis plus de 80 ans. Elle a d’abord été gérée par l’Association des auberges de jeunesse de Suisse du Nord-Ouest, puis par l’Association suisse des auberges de jeunesse. Le bâtiment appartenait toutefois en partie à la Société Pro Vindonissa (GPV), qui en détenait un tiers. Cette dernière avait acquis le château en 1938, alors en piteux état, et l’avait ainsi sauvé de la démolition.
Aujourd’hui, la Fondation suisse pour le tourisme social, détentrice des deux tiers de la propriété, souhaite entreprendre une rénovation complète de l’auberge. Le coût du chantier est estimé à près de 4 millions de francs. Afin de faciliter la planification et la réalisation des travaux, la fondation a proposé à la GPV de lui céder sa part de copropriété.
La protection du château d'Altenburg reste assurée
La demande a été accueillie favorablement par le comité de la GPV. Dave Roth, ancien coprésident impliqué dans les discussions, explique que l’association n’aurait de toute manière pas été en mesure de contribuer financièrement à un projet d’une telle ampleur. Par ailleurs, le château bénéficie aujourd’hui d’une double protection puisqu'il est classé monument historique et est situé dans la zone protégée d’Altenburg. Le rôle de la GPV en tant que garante du site n’est donc plus indispensable. Autre point déterminant: l’usage initialement souhaité, à savoir l’exploitation d’une auberge de jeunesse, demeure pleinement assuré.
Le comité a ainsi proposé à l’assemblée des membres de faire don de la part de bâtiment et des parcelles appartenant à la GPV à la fondation Jugi. La décision a été largement approuvée, par 27 voix contre 2. Une réserve a toutefois été formulée concernant la prairie attenante, aujourd’hui utilisée comme terrain de jeu de l’auberge. Par précaution, face à d’éventuels vestiges archéologiques enfouis, les membres ont choisi de conserver un tiers de cette surface en copropriété. Après un débat animé, le maintien de la copropriété sur cette prairie a été approuvé par 17 voix contre 8, avec 4 abstentions.
Un site au cœur de l’héritage romain et habsbourgeois
Le site du château d'Altenburg est chargé d’histoire. Au 4e siècle, les Romains y avaient construit un fort – probablement pour protéger un port – qu’ils abandonnèrent peu après l’an 400. Ensuite, vers la fin du 5ᵉ siècle, les murs encore largement intacts accueillirent la noble famille du comte Lanzelin. Celui-ci transforma l’ancien fort en véritable château fort. Puis, son fils Radbot fit construire, vers 1020, la forteresse de Habsbourg, donnant ainsi son nom à la célèbre dynastie.
Altenburg est donc considérée comme la première résidence attestée des Habsbourg. L’ancien siège, qualifié de «vieille forteresse», donna naissance au nom Altinburch, attesté en 1254, puis à celui d’Altenburg.
Par la suite, le château fut occupé par des fermiers et tomba peu à peu en ruine. Dans les années 1930, des transformations lourdes menaçaient son intégrité. En 1936, son propriétaire, Fritz Vogt, proposa finalement de le vendre à la Société Pro Vindonissa pour 11 000 francs. L’association s’y intéressa notamment en raison de l’impressionnant mur romain encore conservé, haut d’environ sept mètres et large de deux mètres et demi.
Lorsque la Société historique du canton d’Argovie (l'organisme central pour la recherche historique dans ce canton), accepta de financer la moitié de l’achat et que la Ville de Brugg apporta son soutien, le projet prit définitivement forme. L’objectif était clair: préserver le bâtiment et lui donner une fonction utile. L’idée d’une auberge scolaire et de jeunesse s’imposa rapidement. Une vaste campagne de financement, menée à l’échelle nationale, cantonale et locale, permit l’acquisition du site au début de l’année 1938.
La jeunesse mobilisée pour le château des Habsbourg
La rénovation complète du petit château, avec l’aménagement d’une auberge pouvant accueillir 32 élèves et 2 enseignants, fut ensuite planifiée. L’enjeu principal consistait à préserver le caractère architectural du site. Un premier budget de 45 000 francs dut être réduit à 30 000 francs, les moyens financiers restant limités. Le Conseil d’Etat argovien proposa d’intégrer le projet aux mesures de création d’emplois de l’époque, ouvrant l’accès à des subventions cantonales et fédérales.
Le fonds de la loterie apporta également son soutien, tout comme de nombreuses organisations de jeunesse, parmi lesquelles Pro Juventute, les scouts et la fédération des auberges de jeunesse. Une collecte scolaire fut organisée dans tout le canton d’Argovie sous le slogan «La jeunesse collecte pour la jeunesse». Elle permit de réunir une somme importante, encore évoquée aujourd’hui par un vers en dialecte apposé dans le bâtiment: «60 000 Batze, es hettsi grändiert / Händ d’Aargauer Chind a das Schlössli gspändiert», (réd. «60 000 batz, ça en valait la peine: les enfants d’Argovie ont contribué à ce petit château.»)
Un «écrin» chargé d’histoire
Les travaux de transformation et de rénovation débutèrent en novembre 1940. En 1941, la Fédération des auberges de jeunesse reprit un tiers de la propriété et inaugura l’auberge. Comme le relataient les Feuillets du Nouvel An de Brugg en 1942, le château était devenu «un véritable écrin». Au-delà de son charme, le bâtiment demeure un témoin essentiel de l’histoire régionale et européenne. En 1992, la Société historique du canton d'Argovie fit don de sa part à l’organisation successeure de l’association des auberges de jeunesse. Aujourd’hui, la GPV procède à son tour à cette cession, faisant de la Fondation suisse pour le tourisme social l’unique propriétaire.
A l’heure du bilan comme des perspectives, les mots écrits en 1942 par Rudolf Laur-Belart conservent toute leur portée: «Puisse le petit château d’Altenburg servir d’exemple montrant comment nos beaux édifices historiques peuvent être sauvés de la ruine et mis à la disposition de notre jeunesse, comme lieu de repos, de rencontre et de joie.»
Traduit et adapté de l'allemand par Léon Dietrich
