Cette année encore, le paysage urbain des villes suisses sera différent. En effet, après les rues et les ruelles désertes à cause du semi-confinement en 2020, elles seront en 2022 plongées dans l'obscurité (ou du moins, plus sombres qu'avant), à cause de la crise énergétique qui menace. Alors afin d'économiser de l'électricité, l'éclairage est réduit dans toute la Suisse.
Quelle est la quantité de lumière nécessaire dans un espace public? Comme au début de la pandémie, des débats houleux et des processus d'apprentissage ont lieu actuellement, comme le montre par exemple le cas de Zurich: le gouvernement de la ville voulait éteindre les lampadaires la nuit mais a fait marche arrière en raison du débat sur la sécurité qui s'en est suivi.
Comme la Confédération mise actuellement (encore) sur des économies volontaires, les efforts des villes, des communes et des entreprises divergent. Voici un aperçu des principales mesures. Mais sont-elles suffisantes?
Le canton de Fribourg est celui qui va le plus loin dans la réduction de l'éclairage sur les routes. Entre 23h30 et 5h30, les lampadaires restent éteints sur les routes cantonales, à l'exception des lampes situées près des passages piétons. La mise en œuvre s'avère toutefois délicate, comme l'a rapporté la SRF. En effet, comme toutes les lumières ne peuvent pas être télécommandées et doivent être reprogrammées, certaines restent allumées toute la nuit pour le moment.
Les cantons de Schaffhouse et de Soleure éteignent également l'éclairage des rues plus tôt, et le canton de Thurgovie étudie une solution similaire. En dehors de cela, les lampadaires continuent d'éclairer presque partout. L'intensité n'est toutefois pas la même: le canton de Berne, dans lequel un nouveau concept d'éclairage a été introduit il y a six mois, réduit l'éclairage public à 50% d'intensité la nuit dans plusieurs endroits. La lumière serait ainsi moins vive, mais encore suffisamment claire.
Les lampes ne sont gradables qu'avec des lampes LED appropriées. Celles-ci consomment par ailleurs 90% d'électricité en moins que les ampoules traditionnelles. De nombreuses communes suisses passent donc entièrement aux LED ces dernières semaines, à Lucerne par exemple, comme l'a montré une enquête de ce journal. En plus de cela, pratiquement toutes les communes réduisent autant que possible l'éclairage dans les bâtiments administratifs, les écoles, les universités et parfois même dans les quartiers. Les CFF réduisent l'éclairage des façades des gares.
L'une des recommandations du Conseil fédéral est l'extinction de l'éclairage extérieur des bâtiments publics et historiques. A notre connaissance, toutes les autorités suivent cette recommandation. En Argovie, l'éclairage des châteaux comme Wildegg ou Habsbourg est déjà éteint depuis la mi-septembre. A Berne, les bâtiments comme la cathédrale et le Palais fédéral sont dans le noir, tout comme le château d'eau et le Lion de Lucerne. De la même manière à Schaffhouse, les chutes du Rhin et la forteresse du Munot ne sont plus éclairées.
Les villes suisses vont ainsi plus loin que certaines destinations à l'étranger. A Paris et à Vienne, les monuments emblématiques que sont la Tour Eiffel et la cathédrale Saint-Étienne s'allument certes moins longtemps mais les lumières ne sont pas totalement éteintes. La Tour Eiffel reste allumée jusque tard dans la nuit, désormais jusqu'à 23h45. Les monuments non éclairés ont un effet significatif sur la sensibilisation de la population.
Dès qu'il s'agit de règles pour l'économie, les autorités locales deviennent prudentes. Seuls Appenzell Rhodes-Intérieures et Saint-Gall appliquent des restrictions pour les enseignes lumineuses et l'éclairage des vitrines. Dans ces deux cantons, elles doivent être éteintes de 22 heures à 6 heures. Dans tous les autres cantons, il n'y a pas de directives à ce sujet. Il en va autrement en France, pays au gouvernement centralisé: les vitrines et les logos doivent être éteints pendant la nuit.
De nombreuses entreprises et chaînes de magasins réduisent également l'éclairage sans avoir reçu de directives. Cela leur permet notamment de faire des économies et d'éviter une pénurie d'électricité et un contingentement. Ainsi, les grands magasins Manor, Jelmoli et Loeb éteignent leurs vitrines après la fermeture. Dagmar Jenni, directrice de l'association Swiss Retail Federation, qui a envoyé à ses membres des directives d'économie d'énergie comprenant 37 mesures, explique:
Elle ajoute:
Dagmar Jenni considère également la situation actuelle comme une chance: jusqu'à présent, de nombreux commerçants ne savaient même pas où se trouvaient leurs appareils dévoreurs d'électricité. Les choses vont maintenant changer.
Le point négatif de cette mesure d'économie: les personnes âgées et les femmes se sentent moins en sécurité. Le monde politique s'est déjà saisi de cette problématique. Heidi Z'graggen (Le Centre) et neuf autres conseillères aux États ont déposé une interpellation dans laquelle elles demandent au Conseil fédéral d'évaluer les possibilités d'améliorer le sentiment de sécurité. Un exemple pourrait être celui de l'augmentation du personnel de surveillance dans les bus et les trains.
Mais est-ce vraiment plus dangereux dans l'obscurité? Pas nécessairement. Des études prouvent certes que la lumière ou l'éclairage artificiel protège de la criminalité. Cependant, cela ne vaut que pour les délits tels que les vols ou les cambriolages. Pour les blessures corporelles, l'effet est très faible, comme l'a rapporté la SRF. D'un point de vue statistique, l'obscurité n'entraîne pas d'augmentation de la violence. Il semble toutefois qu'il s'agisse d'un problème du même type que celui entre «la poule et l'oeuf»: comme les gens se sentent moins en sécurité dans l'obscurité, ils sortent moins souvent, ce qui entraîne moins de possibilités de contact.
La Fédération suisse des aveugles et malvoyants s'oppose également aux villes trop sombres. Cela aurait des conséquences fatales pour l'orientation et la sécurité des personnes souffrant d'un handicap visuel. Ces personnes ne pourraient plus se déplacer de manière autonome dans l'espace public. En revanche, des villes moins lumineuses sont bénéfiques pour l'environnement. Il est prouvé qu'une pollution lumineuse trop importante est nuisible à la biodiversité.
Les mesures d'économie concernant les illuminations de Noël ne sont pas un sujet de sécurité, mais sont néanmoins controversées et émotionnelles. Cette année, pratiquement toutes les grandes entreprises renoncent aux décorations de Noël lumineuses: Les grands distributeurs Migros et Coop, les grands magasins comme Manor et les centres commerciaux comme le Glatt à Wallisellen ZH.
Dagmar Jenni déclare:
De Genève à Saint-Gall, les autorités et les associations de villes se sont creusé la tête pour décider de l'utilisation d'étoiles, d'arbres ou d'anges lumineux et ont abouti à des conclusions différentes. Des cantons comme Soleure, Berne, Lucerne ou Appenzell Rhodes-Intérieures appellent à y renoncer. A Lucerne par exemple, les bougies des lanternes remplaceront cette année les lampes LED. D'autres villes comme Saint-Gall s'en tiennent délibérément à leurs lumières. A Zurich aussi, les illuminations de Noël «Lucy» restent en service mais seulement jusqu'à 22 heures au lieu de minuit. Il en va de même à Zoug où elles ne restent allumées que 4,5 heures par jour au lieu de 11 heures.
Pour de nombreux politiciens, les mesures ne vont pas assez loin. Le conseiller national des Verts Kurt Egger, par exemple, plaide pour des règles uniformes. Même les experts reconnaissent qu'il y a «encore de la marge», comme le dit Fabien Lüthi, porte-parole de l'Office fédéral de l'énergie. «On peut toujours faire plus», déclare également Jan Flückiger, secrétaire général de la Conférence des directeurs cantonaux de l'énergie. Il ajoute:
Quelle est la part de l'éclairage public dans la consommation totale d'électricité? Dans les zones urbaines, l'éclairage représente une part non négligeable de la consommation. Selon l'Office fédéral de l'énergie, l'éclairage extérieur représente 0,8% à l'échelle de la Suisse et environ 9% au total si l'on y ajoute l'éclairage intérieur.
De telles mesures d'économie d'électricité ont donc un rôle important à jouer pour sensibiliser la population. Jusqu'à présent, l'appel aux économies lancé par le Conseil fédéral ne semble pas avoir porté ses fruits. En septembre, la consommation en Suisse a continué d'augmenter. Une évaluation des valeurs de l'entreprise d'électricité de la ville de Zurich (EWZ) via Open Data Zurich est toutefois optimiste: la consommation de la ville de Zurich un jour de semaine en octobre a donc légèrement baissé par rapport à l'année précédente. (aargauerzeitung.ch)