Moment de gêne jeudi matin dans la matinale de la Première. On se serait cru aux César, la cérémonie annuelle du cinéma français, quand un comédien, désigné ou autoproclamé porte-parole de la profession, adresse mille reproches au ministre de la Culture présent dans la salle, lequel se doit d’encaisser en gardant le sourire. Jeudi matin, donc, dans le rôle de «la voix de la culture», face au conseiller fédéral Alain Berset, doublement responsable de la santé et de la culture, Anne Bisang, directrice artistique du Théâtre populaire romand, ex-directrice de la Comédie de Genève.
Très vite, l'impression désagréable qu’Anne Bisang (et peut-être d’autres acteurs culturels avec elle) n’a pas pris la mesure de la pandémie, de sa nature éminemment collective. Au lieu d’en chercher le sens, d’y voir une infinie richesse dramaturgique, de se faire petite face à l’immensité du mystère de la maladie et de ses conséquences, la «voix de la culture», ainsi qu’elle a été présentée aux auditeurs, a fait de son domaine, durement atteint par les fermetures de salles, une victime.
D’autant plus victime que la culture, a-t-elle dit, est «essentielle», qu’elle est «une école de la pensée» et qu’à travers elle, «dans une démocratie vivante», «c’est l’émancipation du citoyen qui est en jeu». Anne Bisang a reproché au Conseil fédéral d’avoir instauré une «culture de la peur». A présent, il s'agit de «réparer les dégâts que cela a causés», a-t-elle ajouté.
Alain Berset a trouvé la charge «un peu injuste», affirmant que le gouvernement n’avait «jamais parlé de guerre ou de peur». Si les salles de spectacle ont été fermées, c’est, a-t-il dit, parce que «les lieux de culture ont été considérés comme des lieux de transmission possible du virus». Mais, promis, maintenant que les mesures sont levées, la culture va redevenir «essentielle», ce qu’elle n’avait jamais cessé d’être en vérité, a conclu le ministre de façon plutôt habile.
Morale de cette matinale radiophonique: il est des moments, dans l’histoire, où ce qui nous apparaît comme étant possible en temps normal, ne l’est momentanément plus dans sa totalité. Pas plus que la restauration ou les centres de fitness, deux secteurs d’activité également méchamment touchés par les restrictions sanitaires, la culture, comme institution, ne bénéficie de privilèges qui la hisseraient au-dessus, non pas des lois, mais d’une situation extraordinaire. Cette situation, pénible, fut celle de la maladie et des morts, tout autant que de notre aptitude à affronter dignement cet état de chose.
Aussi perturbante qu’ait été cette «parenthèse» et en espérant qu'elle ne se rouvre pas de sitôt, elle aura été plus gênante pour les restaurateurs et les gérants de salles de muscu, que pour l’art, dont on peut penser qu’il en sortira plus puissant et plus inspiré encore. Mais pour un temps, comme il s'en est présenté d'autres et de bien plus graves dans l'histoire, la culture n'aura pas valu plus que la confiture.