Un trou dans la nuit. Déjà qu’un trou le jour… Mais un trou dans la nuit… Le trou, si évocateur… A tel point qu’on pourrait se contenter des points de suspension. Tout est dit, dans ces points-là. Pourquoi faut-il que cela tombe sur moi? «J’ai pas l’temps d’le faire, ça t’dit d’écrire là-dessus?», m’a demandé Fred, mon chef, rapport au trou dans la voie à Tolochenaz.
L’après-midi s’annonçait creuse, j’ai dit oui. Je n'aurais pas dû. Parce qu'en cet instant, je pense au regretté Raymond Devos, le plus poète, le plus délicat des humoristes. Il aurait fait une merveille d’un tel sujet. Sa disparition a laissé un trou. Enfin, un vide. Comme le bernard-l’hermite, l’imposteur est celui qui s'en va occuper le trou d’un autre.
Puits sans fond que le trou. Quelle angoisse! Serai-je bon amant? T’inquiète bébé, c’est pas la taille qui compte. Ok bébé...
Le trou n’a pas bonne presse. Hormis quelques expressions comme «faire son trou», synonyme de réussite, ou «trou normand», un schnaps prétexte à digestion dans les repas trop riches, rares, très rares sont celles où le trou est inoffensif. Y compris quand il est refuge. Car qui dit refuge dit danger. Danger de mort. Le trou, c’est le loup. Une grande bouche qui vous engloutit. Enfant, qui n’a pas chuté dans son sommeil sous le regard impuissant de sa maman. Quel cauchemar! Vite, mes legos!
Avez-vous remarqué? Autour de nous, tout est trou. Tout est trou parce que tout est chute. La gravité, comme le temps, nous abîme et nous mène inexorablement au fond du trou. Nous n’avons pas meilleur ami que le plancher des vaches. Même grand frère Pesquet, de retour des étoiles, le dit.
Alors, quand on pense que le Lausanne-Genève (et inversement) aurait pu piquer du nez à cause d’un trou dans la voie à Tolochenaz, on est bien content… Mais de quoi? Les points de suspension ne sont pas qu’un trait du parler vaudois. Ils sont cette étroite bande de terre qui nous garde en vie à l’orée du trou.