«L'école doit être un lieu sûr et accueillant», expliquait Cesla Amarelle, la ministre en charge de la formation et de la jeunesse, lors de l'annonce, lundi, des nouvelles mesures destinées à mieux accompagner les élèves transgenres et non-binaires. «Le harcèlement et les intimidations dont sont victimes ces élèves, beaucoup plus exposés que les autres, doivent être éradiqués». L'école doit notamment utiliser le pronom et le prénom choisis par l'élève et réfléchir avec l'élève à des solutions adaptées, comme en ajoutant des toilettes et des vestiaires séparés pour que l'élève se sente à l'aise.
Selon diverses études internationales, entre 1,2 et 2,7% des jeunes sont concernés par ces questions de genre. C'est le cas aussi ici, et «il y en a dans toutes les écoles du canton», affirme Caroline Dayer. La déléguée cantonale aux questions d'homophobie et transphobie s'est insurgée contre ceux qui parlent «d'effet de mode» ou «de lubie».
Il n'est absolument pas question ici de remettre en cause la souffrance des élèves concernés par les questions identitaires. L'initiative va d'ailleurs dans le bon sens. Mais n'y avait-il pas plus urgent à la rubrique harcèlement? Et surtout, plus concernant pour tous les jeunes qui le subissent au moins une fois dans leur vie d'écolier?
Nul besoin de chercher longtemps pour trouver des histoires de harcèlement scolaire, entre élèves ou, pire, de la part des enseignants. Pas besoin chercher tout court: il suffit d'écouter les anecdotes lancées de manière anodine lors des repas de famille, où toutes les générations se mélangent. C'est ce qui m'est arrivé récemment, lors d'un anniversaire.
«Et moi, ma prof m'a humiliée devant tout le monde parce qu'entre mon jeans taille haute et mon crop top, on voyait un centimètre de peau, elle l'a fait avec d'autres élèves, aussi», a ajouté une ado sur le ton de la conversation, au moment de passer au dessert. D'autres enseignants se sont improvisés humoristes devant le reste de la classe pour qualifier les tenues des filles: «Une prof, une autre, m'a dit une fois "T'as apporté ton bikini?" pour se moquer de mon haut, alors que c'est juste mes habits, c'est ma façon de m'exprimer.»
Quand je lui ai proposé de m'en mêler, d'aller voir le directeur de son école lausannoise et de ressortir le scandale du «T-shirt de la honte», elle m'a supplié de me taire par crainte de représailles. De se «faire saquer aux examens». Car oui, l'école vaudoise, c'est aussi ça parfois: avoir peur de se plaindre des mots déplacés d'une enseignante qui rabaisse ses élèves. «Je vais juste mettre des gros T-shirts amples, ça sera plus simple», a-t-elle ajouté, tentant d'éteindre le feu qui commençait à bouillonner dans mes tripes.
Ledit règlement, parlons-en. «Les élèves viennent à l’école dans une tenue vestimentaire décente et non provocante (sous-vêtements non visibles, ventre et bas du dos couverts, absence de publicité pour l’alcool, le tabac et la drogue, absence d’incitation à la pornographie, à la violence ou au racisme, etc.).» La tenue de ces jeunes filles était-elle une incitation à la pornographie dans la tête des enseignants lausannois? Et si tel était le cas, est-ce vraiment nécessaire, en 2021, après la vague violette, #metoo ou le «T-shirt de la honte» d'humilier ces jeunes en développement devant toute la classe?
Entre cette jeune lausannoise scolarisée en 2021 et ma propre adolescence, il y a une quinzaine d'années, je n'ai pas le sentiment que beaucoup de moyens ont été mis pour lutter contre le harcèlement. Ou pas suffisamment, à écouter cette adolescente, qui préfère faire profil bas plutôt que de dénoncer ses enseignants qui rabaissent les élèves devant tout le monde.
Je repense (et je salue!) l'une des doyennes du Gymnase d'Yverdon qui m'a dit, lorsque j'avais 16 ou 17 ans, en plein développement, bourrée de rêves et de doutes, que je ne serai jamais journaliste. Parce que je n'ai pas rendu un travail à temps. Avant de m'asséner: «Lorsque vos professeurs vous disent quelque chose, n'essayez pas d'argumenter, que vous ayez raison ou non. Ce sont des adultes, point.» Ah bon?
En vrai, je me réjouis sincèrement que l'on puisse fêter un jour «historique» comme celui de lundi. Mais parce que nous aurions enfin trouvé le moyen de faire de «l'école un lieu sûr et accueillant». Pour tout le monde.