C'est le vote qui fait trembler le monde du travail romand: ce mardi, le Conseil national se prononce sur un texte demandant de faire primer les conventions collectives de travail (CCT) sur les lois cantonales. Ces accords de branche passés entre syndicats et patronat qui définissent notamment un cadre salarial.
La motion a été déposée par Erich Ettlin, conseiller aux Etats obwaldien du Centre. Ses opposants, nombreux, craignent le nivellement par le bas les salaires cantonaux, si ceux fixés par les CCT sont moins élevés. Le Conseil fédéral et les cantons sont contre, mais le Conseil des Etats l'a déjà acceptée.
Mais au fait, le salaire minimum, ça fonctionne ou pas? On fait le point.
Genève, Neuchâtel et Jura disposent tous trois d'un salaire minimum.
Le canton de Neuchâtel, pionnier en la matière, «tire un bilan positif» de cet outil. Le Conseil d'Etat a constaté que «le salaire minimum neuchâtelois s’applique sans difficulté et a permis un équilibre qui n’a pas posé de problème majeur aux employeurs».
Des «situations de sous-enchère» ont eu lieu, mais «la grande majorité des employeurs a rectifié» le tir après avoir été réprimandés par l'organe de contrôle, «sans contestation», nous précise-t-on.
Au Jura, les spécificités du système font que «l’application de notre type de salaire minimum n’a pas eu d’effet visible sur l’économie cantonale», et de spécifier: «puisque les cas sont rares».
Les syndicats sont satisfaits. «Fixer un salaire minimum s'est avéré un instrument très efficace pour la prévention de la pauvreté et pour lutter contre le dumping salarial», note Véronique Polito, vice-présidente d'Unia.
«A Genève, cela a mené à une énorme amélioration», assure-t-elle. Stéphanie Ruegsegger, directrice de la politique générale de la section genevoise de la Fédération des entreprises romandes (FER), n'est pas forcément de cet avis: «Le salaire minimum limite la marge des négociations dans certains secteurs à bas salaire où il est difficile de faire tourner son commerce, comme les nettoyages ou l'hôtellerie-restauration.»
Au salaire minimum, elle préfère un «partenariat social fort, qui permet de mieux lutter contre le chômage et d'obtenir de meilleures conditions de travail».
Le chômage, parlons-en. Les salaires minimaux ont-il fait exploser le taux de chômage, un argument avancé au moment des votations à Genève? Le Département de l'économie et de l'emploi (DEE) genevois a mandaté une enquête auprès de la Haute école de gestion. «Les premiers résultats montrent que l’introduction du salaire minimum à Genève n’a pas provoqué d’effet significatif sur le taux de chômage», nous indique-t-on. A Neuchâtel et dans le Jura, le constat est le même.
«Il n'y a pas eu de raz-de-marée de licenciement, certes», concède Stéphanie Ruegsegger, «mais les effets restent plutôt négatifs sur les secteurs concernés. En France, la tendance est de tirer les salaires vers le bas vers le Smic. En Suisse, dans certains secteurs à faible valeur ajoutée, le salaire minimum commence déjà à devenir la référence.»
Si certains petits patrons peinent à faire tourner leur commerce, qu'en est-il de leurs employés? Les principales bénéficiaires du salaire minimum sont les femmes à bas revenus.
«Le salaire minimum a permis de favoriser l'égalité, puisque nombre des secteurs à très bas salaires emploient en majorité des femmes», note Véronique Polito. «Les femmes ont vu leur chance de retrouver un emploi augmenter par rapport aux hommes», confirme le DEE genevois pour le canton du bout du lac.
Pourquoi le patronat se montre-t-il si sceptique? Il y a un revers de la médaille: l'étude du DEE révèle que les jeunes en formation, notamment les hommes, souffrent de cette nouvelle situation. Les chances de retrouver un emploi ont «diminué pour les 18 à 25 ans et les personnes les moins qualifiées».
Parmi ces jeunes, la FER relève un exemple bien connu: les job d'été. «Payer un jeune fraîchement majeur 25 francs de l'heure pour ce genre de travail, c'est juste trop cher», illustre Stéphanie Ruegsegger. La situation s'étend d'ailleurs à la plupart des jobs d'étudiants.
Aider les travailleurs précarisés à mieux gagner leur vie, c'est aussi leur éviter de dépendre de l'aide sociale, note la vice-président d'Unia. Récemment, le président de l'Union patronale suisse a laissé entendre que si les salaires n'étaient pas assez bons, l'Etat social était là pour prendre le relais.
Les syndicats auraient-il viré à droite et les patrons à gauche? Véronique Polito s'amuse de la pique et répond: «Une entreprise doit avoir un business model qui fonctionne sans l'aide de l'Etat tout en payant son personnel correctement.»
Si l'intention est louable, pour Stéphanie Ruegsegger, l'objectif n'est pas atteint: «Affirmer que le salaire minimum va faire baisser le recours à l'aide social est faux.» Le canton de Genève, où il est particulièrement difficile de faire vivre une famille avec un bas revenu, «n'a pas vu les montants dédiés à l'aide sociale fondre, bien au contraire».
Le succès clair (à Neuchâtel) ou relatif (à Genève) du salaire minimum met en relief les conditions dans lesquelles ces outils doivent être déployés. La solution mixte utilisée dans le Jura montre que des compromis sont possibles entre les CCT et le salaire minimum. Comme dans le secteur du commerce de détail, où on a pu définir «un contrat-type de travail basé sur le salaire minimum cantonal».
Pour autant, aucun interlocuteur contacté ne s'est montré favorable à 100% à la «motion Ettlin». Le Conseil d'Etat genevois s'y oppose. Même la FER genevoise, qui y répond plutôt favorablement sur le principe, dit «avoir quelques doutes sur la légalité d'une telle application au regard du droit cantonal impératif».
Les syndicats sont remontés contre la manœuvre politique. Après le refus en vote populaire d'un salaire minimum national en 2014, ils se sont résolus à développer des solutions cantonales. Et voilà que les milieux patronaux soutiennent une solution nationale, mais basée sur les CCT.
Car les syndicats ne sont pas fondamentalement opposés à ce genre d'accords. «Nous aimerions pouvoir bénéficier d'une bonne CCT dans toutes les branches, qui assure un bon salaire, et ne pas avoir besoin des salaires minimaux», nous assure Unia.