Le scénario que le chef de l'armée Thomas Süssli a présenté au Centre d'art et de culture de Lugano a laissé songeurs même les officiers de haut rang. Ce n'est toutefois pas son hypothèse personnelle, a-t-il souligné, mais celle des milieux de l'Otan.
Et voici ce qu'elle prédit: imaginons qu'en novembre, Donald Trump soit réélu président des Etats-Unis. En premier lieu, il rompt son soutien à l'Europe et à l'Ukraine. Les Etats-Unis se concentrent sur la région indo-pacifique, comme l'ancien président américain Barack Obama l'avait déjà envisagé.
La Russie gagne ainsi la guerre en Ukraine en 2025 ou 2026. Cela déclenche une énorme vague de réfugiés d'Ukraine vers l'Europe occidentale. La Russie occupe le pays avec des forces d'occupation, retire ses troupes offensives et expérimentées en matière de guerre et les transfère à la frontière avec les pays baltes et la Finlande.
La Russie tâte alors le terrain: elle sonde la force de l'alliance de l'Otan au moyen d'une attaque hybride contre un Etat balte – la Lettonie, par exemple. La Russie renverse le gouvernement. La Lettonie réagit et demande l'aide de l'Otan, déclenchant l'article 5. Celui-ci stipule que les membres de l'Alliance doivent réagir si l'un des pays signataires est attaqué.
«Et voilà», a conclu Thomas Süssli devant les représentants de la Société suisse des officiers et devant le ministre des Affaires étrangères Ignazio Cassis. Et d'ajouter:
Le Royaume-Uni ne peut pas déplacer autant de troupes robustes par la mer, et la France et l'Allemagne n'ont tout simplement pas assez de soldats. La Pologne dispose certes de trois divisions qui pourraient être transférées, mais elle a elle-même besoin de ces forces.
Le chef de l'armée a déclaré:
L'attaque de la Russie contre l'Ukraine, en violation du droit international, a changé beaucoup de choses, comme l'a souligné Thomas Süssli. Il ne s'agit pas d'un changement d'époque, mais «d'une césure, d'une rupture dans l'histoire». L'armée a réagi à court terme en augmentant les effectifs du Service de renseignement militaire (SRM) et en protégeant mieux ses installations. En outre, elle tente de se renforcer le plus rapidement possible de manière à pouvoir défendre la Suisse.
D'autres pays s'équipent déjà massivement, selon l'officier général suisse, qui explique:
Le pays devient ainsi l'une des puissances militaires les plus fortes d'Europe. En outre, les Finlandais se sont reconvertis dans la défense. «Ils construisent des fortifications supplémentaires à la frontière, s'entraînent à la mobilisation et augmentent les stocks», poursuit-il. Et la France souhaiterait mettre sur pied d'ici 2027 une division de 25 000 soldats pouvant être déployée.
Mais c'est surtout la Russie qui s'arme. «Le pays produit 1000 chars de combat par an, et pas seulement pour l'Ukraine», rappelle-t-il. La Russie veut construire une nouvelle armée avec sept divisions et 49 brigades, et a réorganisé ses districts militaires comme pendant la guerre froide.
Le ministre des Affaires étrangères Ignazio Cassis, également invité par la SSO, n'a pas hésité à lancer des avertissements. «Permettez-moi de le dire très clairement: l'époque des beaux jours est révolue», a-t-il déclaré, évoquant des «changements qui marqueront l'histoire». L'ordre mondial menacerait de s'effondrer. Ignazio Cassis a conseillé aux officiers:
Si les choses se passent mieux que prévu, personne ne viendra se plaindre.
Lorsqu'il voyage en tant que ministre des Affaires étrangères, il entend toujours que l'Europe est vieillissante et endettée et qu'elle n'est donc «pas armée pour l'avenir». En 2024, deux tiers des personnes vivant dans des Etats démocratiques – en Inde, en Europe et aux Etats-Unis – voteront. Pour Ignazio Cassis, il existe manifestement un risque de démantèlement de la démocratie dans ces Etats. Le ministre des Affaires étrangères a souligné:
L'ensemble du Conseil fédéral est également inquiet.
Ignazio Cassis n'a pas prononcé de nom, mais il était évident qu'il évoquait implicitement les menaces de glissement vers la droite en Inde, en Europe et aux Etats-Unis. On observe une tendance vers des dirigeants forts et autoritaires comme le Premier ministre Narendra Modi en Inde et André Ventura, du parti populiste de droite Chega, au Portugal. Ainsi que vers Donald Trump, potentiel futur président des Etats-Unis.
Traduit et adapté par Tanja Maeder