Un avion? Mais pour quoi faire? Pour voler, pardi! Jusqu’à lundi, cette évidence n’en était pas une pour le Département fédéral des affaires étrangères. Affrété par ses soins, un avion civil de la compagnie Swiss a enfin pu décoller de Zurich vers Tachkent, en Ouzbékistan, pays frontalier de l’Afghanistan en plein chaos depuis la prise de pouvoir talibane.
Sa mission: Rapatrier des coopérants suisses de la DDC, ainsi que du personnel afghan ayant travaillé pour la Confédération. Il était de retour cette nuit à Zurich-Kloten. Des pays amis, présents militairement à l’aéroport de Kaboul, assurent pour la Suisse le pont aérien entre les capitales afghane et ouzbek.
Aussi étrange que cela paraisse, le Conseil fédéral n’a pas sous la main un avion de transport lui permettant de rapatrier des Suisses pris au piège de conflits ou de catastrophes naturelles. Non seulement il doit recourir aux services d’une compagnie civile, Swiss en l’occurrence, ce qui n’est pas en soi insurmontable; surtout, et c’est déjà plus embêtant, il dépend de partenaires étrangers, pouvant, eux, se rendre sur les théâtres d’opération risqués. «Nous aurions pourtant besoin d’un appareil de ce type. On s’en aperçoit ces jours-ci avec la crise afghane», soutient le conseiller national UDC valaisan Jean-Luc Addor, membre de la commission parlementaire de la politique de sécurité.
L’«avion de transport de troupes», un serpent de mer de la neutralité helvétique, laquelle ne craint rien tant que l’enrôlement par mégarde sous des drapeaux guerriers. En 2001, alors que l’armée suisse, en tant que force de maintien de la paix, venait de procéder à ses premiers engagements militaires à l’étranger (Kosovo), l’acquisition pour 120 millions de francs de deux avions de transport de troupes de marque espagnole Casa semblait acquise.
Mais le ministre de la Défense Samuel Schmid, moins hardi que son prédécesseur Adolf Ogi (tous deux Bernois issus d’un courant de l’UDC que détestait l’aile dure incarnée par Christoph Blocher), se défila au dernier moment. Il renonça à inscrire cet achat au programme d’armement. Le chef du DDPS invoqua le résultat serré, la même année, de la votation approuvant l'envoi de soldats suisses à l'étranger.
En 2015, nouvel échec pour les partisans de l’avion de transport. Le projet d’acquisition de deux appareils (un achat de la sorte s’effectuant par paire) était porté par l'ex-conseillère aux Etats socialiste vaudoise Géraldine Savary, aujourd’hui rédactrice en chef de l’hebdomadaire Fémina, et son collègue Peter Bieri, un PDC.
«Ueli Maurer était d’accord avec cet achat, mais il déclara que l’avion de transport pourrait à l’occasion procéder à des renvois de migrants à l’étranger. Les socialistes du Conseil national, qui voulaient bien voter "oui" malgré leurs réticences face à la chose militaire, ne voulurent plus rien entendre et c’en fut fini de nos espoirs», raconte Géraldine Savary.
Dans sa motion, la sénatrice vaudoise destinait l’avion de transport à des missions de maintien de la paix. Elle arguait qu’un tel appareil avait manqué en 2014 à la Suisse pour acheminer de l’aide en Afrique lors de l’épidémie Ebola, ou quelques années plus tôt, pour évacuer des Suisses bloqués dans une Côte d’Ivoire aux prises avec des affrontements armés.
L’actuelle situation afghane, avec des Suisses sur place totalement dépendants de forces étrangères amies, pourrait-elle remettre l’avion de transport de troupes (humanitaires ou militaires, à des fins de paix ou de sauvetage) à l’agenda parlementaire? Le conseiller national UDC genevois Yves Nidegger, membre de la commission de politique extérieure est plus que dubitatif:
Son camarade de parti, le conseiller national UDC valaisan Jean-Luc Addor, est d’un avis bien différent.
Et comment protéger l'appareil en zone de conflit? «Nous avons des forces spéciales, utilisons-les!», plaide l’élu valaisan.
En dépit d’un possible regain d’intérêt pour un tel avion, une majorité parlementaire n’est pas acquise. Autant l’institution militaire, dans les années 90, a pu paraître à l’avant-garde de la coopération internationale, ouvrant comme jamais la Suisse à des horizons jusqu’alors interdits, autant elle semble aujourd’hui revenue à l’étale de son ambition première: Garder les frontières.