Cela ressemble au scénario d'un film. Un pirate informatique prenant le contrôle d'un satellite afin de provoquer un gigantesque carambolage spatial. Une catastrophe qui aurait pour conséquence de priver une partie du globe d'Internet et de télécommunications.
«Cela fait Hollywood mais c'est assez réaliste finalement», affirme Mathieu Bailly, directeur des activités spatiales chez Cysec, une start-up de l'EPFL active dans la cybersécurité spatiale et qui organise cette semaine Cysat, la première conférence européenne sur le sujet. Selon ce spécialiste, les satellites coûtent des millions mais sont actuellement moins bien protégés qu'un ordinateur personnel. Pire:
D'ailleurs, une dizaine de cas confirmés ont déjà été recensés par le passé. En 2008, des pirates ont pris le contrôle durant plusieurs minutes de deux satellites de la NASA. D'autres avaient détruits les batteries d'un engin en forçant ses panneaux solaires à se placer face au soleil. «Et ça, c'est seulement la partie immergée de l'iceberg. Il y en plein dont on n'a pas entendu parler car les opérateurs n'ont pas du tout envie de communiquer sur ce sujet», précise Mathieu Bailly.
En 2020 encore, James Pavur, chercheur à l’Université d’Oxford, a capté l'ensemble des données transitant par 18 satellites avec du matériel TV coûtant moins de 300 francs. L'opération lui a notamment permis d'accéder aux informations de navigation d'un avion de ligne, aux données personnelles de l'équipage d'un pétrolier ou encore à un email envoyé par un avocat espagnol à son client.
C'est justement dans ce gouffre que l'entreprise Cysec veut s'engager en proposant une solution de sécurité clés en main aux opérateurs commerciaux. Bonne nouvelle, il est possible de mettre à jour les satellites déjà en orbite pour intégrer des moyens de protection.
Une opération qui serait plus que judicieuse au vu du rôle central que les satellites jouent dans notre société numérique. Télécommunications, météo ou encore géolocalisation, nous sommes dépendants d'eux pour une grande partie de notre quotidien.
Et le problème ne va que s'aggraver. Les 2600 satellites gravitant actuellement autour de notre planète devraient très rapidement être rejoints par une montagne d'autres. Si le nombre d'engins spatiaux a doublé entre 2010 et 2020, il devrait littéralement exploser dans le futur. Space X a déjà obtenu l'autorisation d'en envoyer 12 000 et Amazon 3200.
«On estime que 1000 nouveaux satellites seront lancés chaque année au cours de la prochaine décennie. Ils sont plus petits mais leur budget est plus restreint donc il est compliqué d'intégrer l'aspect sécurité», pointe le directeur. À ses yeux, il est donc nécessaire d'agir.
Si le scénario du carambolage spatial géant désactivant nos télécommunications est le plus spectaculaire, il est aussi celui qui pourrait avoir le plus des conséquences sur le long terme. En effet, chaque collision créerait de nouveaux débris qui occasionnerait de nouvelles collisions. «C'est un cercle vicieux. Dans le pire des cas, il est plausible que l'orbite basse, actuellement la plus utilisée, finisse par devenir inutilisable», observe Mathieux Bailly.
L'expert met également en avant deux autres risques majeurs:
Bonne nouvelle toutefois, Mathieu Bailly assure qu'une prise de conscience est en cours. Il en veut pour preuve la présence (virtuelle) de la conseillère fédérale Viola Amherd à l'occasion de la conférence cette semaine. «La Suisse a un rôle central à jouer. Nous avons un tissu de PME actives dans le domaine spatial et une réelle culture de la sécurité. C'est un sujet sur lequel il serait intéressant de se positionner», appuie Mathieu Bailly. Pour la prochaine édition de Cysat, son entreprise prévoit d'ailleurs de lancer une compétition invitant les hackers à prendre le contrôle d'un satellite.