On s’attend à une croissance d’environ 5% en Europe en 2021, après une chute de près de 7% due au Covid en 2020. La croissance de retour, mais au détriment du climat et de la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre, non?
PHILIPPE THALMANN: Il faut se méfier de ces taux de croissance annoncés tambours battants. Les économistes préfèrent parler de retour à une trajectoire de croissance que le monde a connue jusqu’en 2019. On était alors dans une croissance soutenue de l’économie mondiale d'environ 3% par année.
A 3%, on est bien?
Non, ce n’est pas soutenable pour la planète. Cette croissance est certainement vertueuse d’un point de vue du développement des économies des pays émergents, en offrant plus de revenu aux populations concernées, mais elle n’est pas compatible avec les limites planétaires.
Pourquoi?
Parce qu’elle épuise les ressources non renouvelables et qu’elle rejette des gaz à effet de serre dans l’atmosphère.
Au sortir du Covid, si vraiment on parvient à en sortir, quels sont les scénarios à la fois économiques et climatiques qui s’offrent à nous?
La communauté scientifique en distingue trois:
Ces sacrifices supposent des compensations. On fera plus de grillades sur le balcon ou au parc, on boira plus et on mangera plus, en tout cas pas moins de viande. Pas bon non plus pour la planète…
Parler de changement des habitudes ne veut pas dire renoncer à la consommation de tout. Oui, bien sûr, il y aurait des compensations de ce type. Changer les habitudes, cela veut dire réorienter notre consommation de façon à concilier sentiment de bien-être et diminution de l’impact environnemental. Le scénario de la sobriété n’est pas seulement un idéal, c’est une nécessité.
Il faudra donc renoncer aux week-ends pas chers en avion à Barcelone ou Palerme?
C’est certain, on ne pourra plus faire ce type de voyage. Comme sauter dans un avion pour New York pour aller s’acheter un costume. Ce genre de voyage, on le fera pour ses 20 ans de mariage. On peut très bien faire du shopping dans les villes suisses.
On peut comprendre le caractère nécessaire d’un changement de comportement. Mais cela sera-t-il accepté? Des populations se sont révoltées contre des mesures dites écologiques, mais synonymes de hausses d’impôts ou de rupture dans le mode de production. Les «bonnets rouges» en Bretagne contre les portiques poids-lourds, les «gilets jaunes» dans toute la France contre la hausse de la taxe sur le carburant, une partie des agriculteurs suisses opposés à l'initiative anti-pesticides...
En effet, et c’est pourquoi il faut mettre en place des mesures d’accompagnement. Afin que la politique écologique ne soit pas perçue comme antisociale. Sur la fin, gilets jaunes et grévistes du climat ont d'ailleurs marché main dans la main.
Cette «convergence des luttes» que vous relevez à travers cet exemple français, c’est justement le mot d’ordre des participants de ce jour à la «Grève pour l’avenir», qui englobe «Grève du climat», luttes sociales et féministes. Le capitalisme est l’ennemi désigné. Vous retrouvez-vous dans ces mots d’ordre?
Les mots d’ordre présentent bien sûr un biais militant et idéologique. Mais sur le fond, oui, j'estime nécessaire de changer de modèle économique.
Les pays émergents, Chine et Inde en tête, sont d’un autre avis, en tout cas se situent dans une autre logique, celle du développement, synonyme de grande consommation énergétique. Où en est-on de la réduction des gaz à effet de serre, qui contribuent au réchauffement de la planète?
Les Etats-Unis, l’Union européenne et la Suisse sont plutôt sur la bonne voie. La Chine et l’Inde, non. A titre comparatif, les Etats-Unis ont rejeté en 2019 dans l’atmosphère 7% de moins de CO2 qu’en 2010. L'Union européenne a diminué ses émissions de 13% sur la même période et la Suisse, de 16%. Des améliorations, donc.
L’énergie nucléaire paraît être le bon substitut au charbon, ne trouvez-vous pas?
Si le nucléaire était le seul substitut au charbon, alors oui, incontestablement, d’un point de vue climatique. Mais l’éolien et le photovoltaïque me paraissent être de meilleurs substituts au charbon que le nucléaire, qui a besoin d’eau pour le refroidissement des centrales et qui doit de temps à autre s’arrêter de produire pour la maintenance des installations. Sans subventions massives, le nucléaire n'a plus aucune chance face aux renouvelables.