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Analyse

Pourquoi la Suisse se fait piétiner à Washington

Le ministre américain des Finances Scott Bessent avec la présidente de la Confédération Karin Keller-Sutter et le conseiller fédéral Guy Parmelin lors d'une rencontre à Genève.
Le ministre américain des Finances Scott Bessent avec la présidente de la Confédération Karin Keller-Sutter et le conseiller fédéral Guy Parmelin lors d'une rencontre à Genève.Image: X
Analyse

Pourquoi la Suisse se fait piétiner à Washington

Pourtant actrice majeure sur les scènes économique et politique internationales, pourquoi la Suisse n'est-elle pas prise au sérieux par Donald Trump?
16.08.2025, 18:5716.08.2025, 18:57
Stefan Bühler, Doris Kleck / ch media
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Karin Keller-Sutter, présidente de la Confédération, avait fait une déclaration pleine de certitudes à des étudiants de l'Université de Saint-Gall le 3 avril:

«Nous ne devons pas nous rabaisser, la Suisse est un partenaire commercial important des États-Unis»

Toute autre ambiance pour Martin Pfister, ministre de la Défense, qui s'exprimait face à la presse le 12 août, à propos du prix des F-35, qui coûteront jusqu’à 1,3 milliard de plus que ce qui était censé être convenu:

«L’Amérique est un partenaire plus fort que nous, c’est pourquoi, au final, ce sont les Etats-Unis qui décident»

Deux citations de deux membres du gouvernement: l’une sonne comme un défi, l’autre comme une reddition. Entre les deux, quatre mois de montagnes russes pour la politique suisse. Et une conclusion qui s’impose: aucun autre pays européen ne se fait traiter avec autant de désinvolture que la Suisse dans la guerre commerciale déclenchée par les Etats-Unis.

Dans le dossier du prix des F-35, les négociateurs suisses ont été éconduits comme des écoliers naïfs. Alors, la question se pose: Karin Keller-Sutter surestime-t-elle la position de la Suisse, ou Martin Pfister a-t-il cédé trop vite?

Sur le devant de la scène économique

Ni l’un ni l’autre. La clé pour comprendre ces propos apparemment contradictoires réside dans deux caractéristiques de la Suisse: économiquement, notre petit pays joue dans la cour des grands, mais, sur le plan politique international, on ne pèse pas lourd.

En matière d’investissements directs aux Etats-Unis, la Suisse occupe le sixième rang mondial avec 300 milliards de dollars. L’Allemagne, dix fois plus peuplée, arrive à 506 milliards. Lorsque Giorgia Meloni, cheffe du gouvernement italien, est allée voir Donald Trump en avril, elle lui a promis que les entreprises italiennes investiraient 10 milliards aux Etats-Unis dans les prochaines années. La Suisse, elle, a promis 150 milliards, soit quinze fois plus. Mais cela ne nous a pas aidés.

La place financière helvétique se trouve également dans la ligue supérieure. Depuis 2016, la Suisse est invitée aux réunions annuelles des ministres des Finances du G20. Deux fois par an, nos ministres des Finances et de l’Economie, et souvent aussi le président de la Banque nationale s’assoient à la table des grands à Washington, lors des assemblées de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI).

Une opération de sauvetage estimée

Lors du sauvetage de Credit Suisse au printemps 2023, Karin Keller-Sutter était presque en ligne directe permanente avec sa collègue américaine Janet Yellen. Un confrère lui aurait même lancé:

«You saved the world»

Notre présidente actuelle a alors multiplié les interviews dans les médias anglo-saxons. Le Financial Times l’a même classée parmi les femmes les plus influentes du monde.

Depuis, la Suisse ne compte plus qu’une seule grande banque, UBS, mais celle-ci figure parmi les plus puissantes au monde. Ce poids financier ouvre au gouvernement des portes auprès de décideurs clés partout sur la planète.

Des atouts sans valeur pour Trump

Les diplomates du Département fédéral des affaires étrangères, dirigé par Ignazio Cassis, s’efforcent eux aussi d’ouvrir des portes. Par exemple, en organisant en mai, à Genève, une rencontre entre la Chine et les Etats-Unis sur leur conflit commercial. La Suisse sait offrir une plateforme, et tisser des contacts au passage. C’est ainsi qu’elle a pu échanger avec le secrétaire au Trésor américain, Scott Bessent, et son représentant au commerce, Jamieson Greer.

Les bons offices helvétiques, comme le rôle de médiateur entre Washington et Téhéran, sont appréciés des Américains en cas de crise. Ce fut le cas lors des frappes israéliennes sur l’Iran. Mais il ne faut pas en attendre de la gratitude: cette médiation n’a pas valu à la Suisse le moindre rabais dans le conflit douanier. Et dès le lendemain du sommet de Genève avec la Chine, l’administration Trump menaçait les groupes pharmaceutiques, suisses compris, de droits de douane punitifs exorbitants.

Le problème est là. Les domaines où la Suisse brille intéressent peu Donald Trump. ONU, OMS, OMC: il préfère leur couper les vivres ou bloquer les procédures plutôt que s’y engager.

Autre faiblesse: si la Suisse est une championne de l’exportation, son marché intérieur est insignifiant pour les autres. Menacer Washington de surtaxer le bœuf américain ou les Harley-Davidson ne ferait pas sourciller. Son pouvoir de rétorsion? Dérisoire.

Grand nain et faux géant

Longtemps, cette double nature a servi la Suisse: très bien intégrée économiquement et appréciée comme partenaire fiable, elle restait politiquement discrète, à l’écart des conflits, et se rendait utile comme médiatrice.

Mais, dans la réalité chaotique façon Trump, ces avantages se retournent: économiquement trop grande pour se faire oublier, la Suisse est devenue une cible du président imprévisible. Et politiquement, elle est comme le géant illusoire de Michael Ende: imposante de loin, mais bien petite dès qu’on s’en approche.

Adapté de l'allemand par Tanja Maeder

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