Dean Gill, comment se fait-il qu'il fasse 40°C en France et «seulement» une trentaine chez nous?
Il faut tout d'abord préciser que cette vague de chaleur ne concerne pas toute la France, mais le sud-ouest du pays et sa façade atlantique. Ces régions sont concernées par une dépression au large du Portugal qui fait remonter de l'air très chaud du Sahara. La Suisse est actuellement sous un courant frais de nord-est qui empêche l'air saharien d'arriver chez nous.
Sommes-nous donc à l'abri de cette vague de chaleur?
Oui, la Suisse devrait être épargnée par cet épisode caniculaire. On peut visualiser la situation comme une langue d'air très chaud qui remonte d'Afrique du Nord jusqu'à l'Espagne et à la France du Sud-ouest. Les modèles montrent qu'elle va s'approcher de la Suisse dans la journée de dimanche, sans toutefois l'atteindre. Si on regarde les prévisions pour ce jeudi, on voit que le vent chaud du sud-ouest va mourir à une trentaine de kilomètres au sud de Genève. Il est contrarié par une zone de haute pression qui provoque un petit courant de bise.
La langue de chaleur devrait ensuite se rétracter et, ce faisant, mettre fin à la canicule en France à la fin de la semaine.
En juin également, la Suisse n'a pas souffert d'une vague caniculaire qui a frappé la France de plein fouet. S'agit-il d'un hasard, ou la Suisse est protégée des chaleurs extrêmes?
C'est plutôt la deuxième option. Les chaînes montagneuses nous protègent partiellement des canicules extrêmes. Le plateau suisse est inséré entre le Jura et les Alpes, ce qui ne facilite pas la pénétration de l'air très chaud qui souffle depuis le sud-ouest. Celui-ci est en outre contrarié par un courant de bise qui balaye le plateau et qui est canalisé et renforcé par les deux reliefs.
Quel est exactement le rôle des Alpes?
Les Alpes modifient profondément la circulation de l'air dans nos régions, ainsi que le climat des deux côtés de la chaîne. Le climat au Tessin et dans le nord de l'Italie est très différent de celui de l'autre versant des montagnes. Cela est dû à la barrière alpine, qui maintient l'air chaud sur les versants sud, et qui empêche l'air froid de pénétrer de l'autre côté. Quand cela arrive, l'air frais est réchauffé et asséché par effet de foehn.
Y a-t-il d'autres éléments qui préservent la Suisse de la forte canicule?
La présence des lacs joue également un rôle. Ces plans d'eau ont un effet modérateur, l'air qui se trouve au-dessus des eaux est plusieurs degrés plus froids que l'air aux alentours. Cela provoque des bises lacustres, un courant qui souffle autour des lacs et qui rafraîchit les régions voisines. Et comme il s'agit d'assez gros lacs, comme le Léman et le lac de Neuchâtel, cet effet s'étend sur plusieurs kilomètres à l’intérieur des terres. La présence des lacs entrave également la pénétration de l'air chaud qui souffle du sud-ouest français.
Le principe est très simple: plus on monte, plus il fait froid. Le plateau suisse a une altitude moyenne de 500 mètres. En principe, il fait plus froid ici qu'au niveau de la mer. Certaines parties du plateau vaudois et fribourgeois atteignent même les 700 mètres, ce qui préserve certaines régions des vagues de chaleur. Certaines d'entre elles ne remplissaient par ailleurs pas les critères définissant la canicule.
Cette protection offerte par le paysage est elle hermétique?
Non, au contraire. Le courant d'air chaud qui souffle dans la vallée du Rhône française parvient parfois à pénétrer ces obstacles et à se déverser sur le plateau, s'il est suffisamment fort et s'il arrive à s'imposer sur le courant froid du nord-est. Cela se produit notamment dans le bassin genevois.
Pourquoi spécifiquement là-bas?
Cette zone est plus exposée par rapport au reste de la Suisse romande, où le courant du sud-ouest passe plus difficilement. A Genève, les vents très chauds du sud-ouest viennent directement de la vallée du Rhône et parviennent parfois à combattre l'air du lac. Et c'est pour cette raison que dans les autres cantons romands, on constante moins de pics de chaleur. Les températures les plus élevées sont souvent mesurées à Genève, comme par exemple le record romand de 39,7°C, en 2015.
La Suisse sera-t-elle toujours préservée de la canicule?
Non. Les avantages dont on vient de parler ne vont pas préserver éternellement le pays des canicules extrêmes. Ils vont tout au plus retarder les choses. Si la masse d'air est vraiment très chaude, cela compense les effets joués par les montages, les lacs et l'altitude. Car une chose est certaine: on constate des températures de plus en plus élevées.
Que peut-on dire de la suite? Va-t-on voir d'autres pics de chaleur en Suisse ces prochains temps?
La chaleur n'a peut-être pas dit son dernier mot. Les derniers modèles montrent que la masse d'air chaud provenant d'Afrique du Nord pourrait revenir la semaine prochaine et s'étendre jusqu'à la Suisse romande. On pourrait avoir des températures jusqu'à 24°C à 1500 mètres, notamment dans la région de Genève, ce qui peut correspondre à 37, 38°C au sol. Cela va se produire seulement si certaines conditions sont réunies, et, de manière générale, le modèle pour la semaine prochaine est très incertain. Il faut donc prendre tout cela avec des pincettes.