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Marc Bühlmann: «Je ne pense pas que 40% des Suisses soient anti-vaccins»

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Violences: «Je ne pense pas que 40% des Suisses soient anti-vaccins»

Depuis que des manifestants ont secoué les grilles du Palais fédéral pour signifier leur colère face à l'extension du certificat, tout le pays se pose la question: la Suisse est-elle aussi divisée qu'on veut bien le croire? On tente de comprendre avec l'aide du politologue Marc Bühlmann.
22.09.2021, 05:5723.09.2021, 17:46
Helene Obrist
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Monsieur Bühlmann, le Conseil fédéral a serré la vis dans la lutte contre la pandémie il y a une semaine. Depuis, le ton s'est intensifié. La police cantonale bernoise a dû utiliser un canon à eau contre les manifestants. Ces tensions vous inquiètent-elles?
Marc Bühlmann: Oui et non. Les appels à la violence n'ont pas leur place dans une démocratie et bien sûr, les incidents sont à condamner. Mais cela ne m'inquiète pas vraiment.

Pourquoi ça?
Il y a beaucoup de manifestations en Suisse. Et 99% d'entre elles sont pacifiques. Je ne pense pas que paniquer à cause de quelques personnes qui visent le chaos soit très efficace.

Les médias ont-ils bien fait de couvrir largement ces manifestations?
C'est la tâche des médias d'informer le public sur de tels incidents. Mais il est également important de mettre les événements en perspective. Quelques personnes se sont montrées violentes. Je ne veux pas minimiser les incidents.

«Cette poignée de fauteurs de troubles ne représente pas tous les manifestants contre les mesures Covid, et ce n'est pas non plus le signe que la société s'est irrévocablement divisée»

Vous contestez donc le fait que la tension entre les vaccinés et ceux qui critiquent la vaccination semble se durcir?
Tout est très noir ou blanc dans ce débat. Et c'est souvent exagéré. J'imagine que la majorité de la population a une assez bonne compréhension des mesures prises par le gouvernement. Je ne crois pas que 40% des Suisses soient contre la vaccination. Selon moi, peut-être 15 à 20% ne veulent simplement pas se faire vacciner et pour des raisons vraiment très différentes.

Alors, d'où vient cette analyse tout blanc, tout noir?
C'est aussi lié au sujet. Elle est associée à beaucoup d'incertitudes. On connaît mal le virus. De nombreuses allégations circulent, alors que nous ne pouvons pas encore nous appuyer sur une expérience solide. Néanmoins, cette situation exige une action rapide qui restreint la liberté des individus. Et ça alimente forcément les points de vue extrêmes. Parce qu'il faut du temps pour comprendre de telles catastrophes et aussi pour en discuter et réagir politiquement. Historiquement, cependant, cette dynamique n'est pas nouvelle.

Vous avez des exemples?
En 1979, par exemple, le Conseil fédéral avait introduit par décret le port obligatoire de la ceinture de sécurité dans les voitures, car le nombre de morts sur la route avait fortement augmenté. Les opposants à cette mesure n'ont pas tardé à se manifester, à tel point que la Cour suprême fédérale a finalement dû s'en saisir. Les opposants à la ceinture de sécurité ne voulaient pas que l'Etat leur dise comment conduire leur voiture et estimaient que leur liberté avait été restreinte.

«Idem dans les discussions sur l'interdiction de fumer dans les restaurants. Les opposants avaient également crié au manque de liberté et avaient même prédit qu'il n'y aurait plus de restaurants trois ans après l'interdiction»

Aujourd'hui, nous pouvons en rire. Mais ce sont des débats qui demandent du temps.

On va donc rire du Covid dans dix ans?
Ça ne me dérangerait pas (il sourit). Mais sérieusement, il faut du temps et même un peu de chance pour vaincre une pandémie. Nous sommes en mode expérimental et apprentissage de nos erreurs. Le gouvernement et le parlement tentent de contenir le virus à l'aide de divers instruments à leur disposition. Ces mesures ne visent pas seulement à éradiquer le virus, mais aussi à ce que la Suisse soit socialement et économiquement en bonne santé. La tâche n'est pas aisée et c'est toujours un exercice d'équilibriste, politiquement très controversé.

L'UDC, entre autres, est contestée. Son conseiller fédéral Ueli Maurer sympathise avec les manifestants en arborant un T-shirt de «Freiheitstrychler» (militant pour la liberté), et le certificat Covid suscite une forte opposition au sein du parti. A quoi joue l'UDC?
Un point important - et je dis cela en tant que théoricien de la démocratie, totalement détaché de mes propres opinions politiques: pour jouir d'une société organisée démocratiquement, c'est capital qu'il y ait toujours des forces qui s'engagent en faveur d'une minorité, quelle qu'elle soit. Et qui prennent au sérieux leurs critiques et leurs craintes et qui les représentent ensuite, par exemple, dans un débat parlementaire.

Vous croyez vraiment qu'Ueli Maurer ne savait pas ce que signifiait son T-shirt?
Cela fait partie de la communication politique. Lui seul peut répondre s'il était conscient ou non des signaux qu'il envoyait. Dans ce contexte, nous devrions plutôt nous poser la question: pourquoi ce comportement déclenche-t-il de si vives réactions? Qu'est-ce qui se cache derrière? Et comment faire atterrir ce débat chargé en émotions afin de pouvoir prendre des décisions à plus long terme?

Même si les arguments sont parfois dénués de faits?
Je ne parlerais pas de faits, mais de probabilités plus ou moins grandes. Parce qu'il ne peut y avoir de vérité absolue et que les conclusions ne peuvent être que provisoires. Et oui, les émotions jouent un rôle très important en politique. Les décisions sont souvent prises sur la base de sentiments instinctifs. Ce n'est qu'ensuite que nous cherchons des arguments rationnels qui confirment notre intuition.

Rien ne semble très factuel en ce moment.
Tout l'art consiste à canaliser ces doutes et ces émotions et à en débattre politiquement. Tout ça, dans le but de prendre des décisions capables de rassembler une majeure partie des Suisses. La beauté de la démocratie directe est que les émotions sont déposées dans l'arène politique et doivent ensuite être discutées de manière plus institutionnelle. Le Parlement a ensuite la tâche de mener ces débats, de les classer idéologiquement et de les rendre factuels. Dans ce processus, des arguments sont avancés d'un côté comme de l'autre, ceux qui sont pour, ceux qui sont contre, mais leur identité change d'une situation à une autre. Je me souviens d'ailleurs de l'occupation de la Place fédérale par les jeunes défenseurs du climat. De nombreux politiciens bourgeois étaient indignés, le PS et les Verts étaient derrière le mouvement.

Les Suisses ont-ils plus de problèmes avec l'idée de voir leurs libertés personnelles entravées? Par exemple, le Premier ministre italien Mario Draghi a pris des mesures intransigeantes contre les anti-vaccins et la résistance est plus faible.
Cela a certainement à voir avec notre culture politique. En Suisse alémanique notamment, il semble être historiquement ancré de ne pas être d'accord avec les autorités. Mais il serait faux de mettre l'ensemble de la Suisse dans le même sac. En Suisse romande, le mot «Trychler», par exemple, n’existe même pas. En Italie aussi, les avis divergent entre le nord et le sud.

En novembre, nous voterons sur le deuxième référendum contre la loi Covid-19. Comment envisagez-vous ce vote?
La situation épidémiologique en novembre jouera certainement un rôle central à ce moment-là. Que l'on se soit habitué ou non au certificat Covid. Pour l'instant, je suppose que le résultat sera similaire à celui du printemps. Il y aura 30 à 40% qui exprimeront leur mécontentement à l'égard des mesures et voteront «non». Un éventuel vote sur l'initiative contre la vaccination obligatoire, pour laquelle des signatures sont actuellement collectées, pourrait également être intéressant.

Animaux mal empaillés
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