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Interview

AVS 21: La retraite est «un système à bout de souffle»

AVS 21: La retraite est «un système à bout de souffle»
Interview

La retraite? «Un système à bout de souffle qu’on tente de rafistoler»

Le 25 septembre prochain, les citoyens suisses devront se prononcer dans les urnes sur la réforme très discutée (voire disputée) de l'AVS. Et si on prenait un peu de hauteur et qu'on papotait sur le principe même de la retraite? Coup de fil à l'anthropologue franco-suisse Fanny Parise, chercheuse associée à l'Institut lémanique de théologie pratique de l'Université de Lausanne.
05.09.2022, 18:4722.09.2022, 14:40
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La retraite, telle qu'on la connaît, a été mise en place à une époque où l'on mourrait plus jeune. S'obstine-t-on à rafistoler un système has-been?
Fanny Parise: Oui. Mais les politiques n'ont pas vraiment le choix. Aujourd'hui, tout est bouleversé, pas seulement les retraites. Notre mode de vie, le travail, l'énergie, la gestion du climat et nos institutions sont lancés à pleine vitesse dans une période de transition. Nous vivons un changement de paradigme important, et le système technique et organisationnel évolue plus vite.

«Les propositions actuelles pour pérenniser les retraites peuvent donc effectivement ressembler à de petites rustines collées sur un problème beaucoup plus grave et systémique»

Ce rafistolage est-il malgré tout cohérent?
Pour l'instant, oui. On demande déjà beaucoup aux individus aujourd'hui: vivre dans un risque permanent et changer de nombreuses pratiques quotidiennes. C’est violent, dans une société qui est de plus en plus anxiogène.

C'est pour cette raison que l'on parle toujours plus volontiers de stabilisation ou de renforcement de l'AVS?
Probablement. Il faut comprendre que les retraites sont un totem du XXe siècle en Europe. Un socle de modernité. Une proposition de refonte profonde du système serait accueillie comme une défaite sociale avec, en fond, la peur panique de perdre un confort. Même si les citoyens entendent bien qu'il est défaillant, ou du moins fortement fragilisé, le système des retraites est considéré comme un acquis.

Or, quand on est gamin, on nous martèle que rien n'est acquis dans la vie. Comment en est-on arrivés à la conclusion que la retraite l'est?
Nous avons fait des retraites un contrat social qui n’est plus considéré comme négociable par les individus. Les retraites sont l'une des preuves factuelles du progrès de la société occidentale. Rationnellement, on serait en droit d'attendre des citoyens qu'ils comprennent le besoin de travailler un peu plus longtemps qu'il y a trente ans. Mais d'un point de vue émotionnel et symbolique, augmenter ne serait-ce que de trois mois l'âge du départ à la retraite, est perçu comme un dangereux retour en arrière.

Certains évoquent aussi la possibilité de supprimer, non pas les retraites, mais l'âge de la retraite.
Oui, ça peut entrer dans la boîte à outils utilisée pour rafistoler le système actuelle. Mais, ne pas vouloir partir à la retraite ou ne pas en avoir le choix, ce n’est pas le même problème. Des personnes à la retraite sont obligés de reprendre de petits boulots pour simplement subvenir à leurs besoins. Toute bonne idée drainera son lot de défauts et de complications.

Aujourd'hui, de plus en plus d'études semblent nous affirmer que, dans l'esprit des jeunes, la valeur du travail n'a plus la même signification. Que l'idée de se tuer à la tâche serait du passé. Le concept même de la retraite a-t-il encore un sens?
La jeune génération est effectivement au cœur des changements des modes de vie et donc d'un certaine vision de la carrière professionnelle et la fin de celle-ci. Mais cette génération ne parle jamais d'une seule voix. Il faut toujours se méfier des tendances qui viennent d'émerger et relativiser l'importance d'une nouvelle manière d'envisager l'existence par une partie des individus.

Ce qui me vient d'ailleurs à l'esprit, ce sont ces jeunes adultes, particulièrement visibles sur les réseaux sociaux, qui dévoilent leur plan infaillible pour être en mesure d'arrêter de travailler avant 40 ans.
Oui, les frugalistes. Que je considère comme des individus qui pratiquent «un sport de riches». Ils ne sont pas particulièrement politisés, ne pestent pas contre la société de consommation et en profitent à leur manière. Ils envisagent de ne plus dépendre de quoique ce soit et le plus tôt possible.

«Les frugalistes réduisent un maximum leur budget, investissent immédiatement leurs économies et perçoivent rapidement des rentes. Ce sont, pour la plupart, les nouveaux golden boys de la sobriété»

Si c'est un «sport de riche», on imagine qu'ils sont une minorité?
Effectivement. Mais ils propagent l'illusion que toute une génération est en train de changer de mode de vie en même temps.

Reste qu'il n'est pas obligatoire d'être bien né pour renoncer à s'essouffler dans la roue économique traditionnelle. On pense notamment à la décroissance et, plus généralement, aux militants du climat?
Et c'est une autre minorité. Tout aussi visible et audible, mais de l'autre côté du spectre. Des deux côtés, on espère réussir à ne plus mettre le travail au cœur des priorités, mais de privilégier un projet. Qu'il soit social ou familial. Il ne faut pas non plus oublier les slashers, qui n'imaginent plus travailler pour la même entreprise, à 100%, toute leur vie.

Le point commun entre ces trois minorités c'est qu'ils ne participent plus aussi régulièrement au financement des retraites, non?
Oui mais, comme vous dites, ce sont encore des minorités. Du moins aujourd'hui. Il y a bien une tendance à envisager l'existence de manière plus égocentrée qu'avant. Et ce n'est pas une critique. Le présent a son lot de complication et il est compliqué pour les jeunes d'imaginer la retraite et, surtout, de participer activement à sa pérennité. Ces minorités, sans être forcément issues d'une famille aisée, ont un capital culturel et académique bien au-dessus de la moyenne.

«L'écrasante majorité des individus est écartelée au beau milieu de ces nouvelles tendances, dans un monde qui est en train de changer autour d'eux et aux prises avec des difficultés qui ne leur permettent pas d'envisager d'autres échappatoires que de trouver un travail et d'espérer une retraite décente»

D'autant qu'ils ont, au-dessus de leur tête, un discours collectif qui consiste à jurer qu'il ne faut pas s'inquiéter et qu'on on va trouver des solutions.

Le jeunisme ambiant, et particulièrement en entreprise, est-il aussi en train de fragiliser le système des retraites que l'on connaît?
Même si le jeunisme semble toujours primer, là aussi, je crois que les choses sont en train de lentement changer. En entreprise, le mot d'ordre c'est la diversité. Face aux profils considérés comme atypiques des jeunes travailleurs, et peut-être plus souples et donc plus créatifs, les séniors, plus expérimentés, pourront tirer leur épingle du jeu. D'un côté, des slashers et des travailleurs beaucoup plus mobiles, de l'autre des employés qui apportent une stabilité qui sera de plus en plus indispensable. D'ailleurs, certaines entreprises lancent déjà des campagnes de recrutement en ce sens.

A vous écouter, le système des retraites devra invariablement être modifié en profondeur, mais nous ne sommes pas encore prêts à l'entendre, et encore moins à le subir.
C'est un système à bout de souffle qu’on n'arrête pas de rafistoler, mais il faut aussi composer avec notre résistance naturelle aux changements, qui est d'ailleurs profondément humaine. La guerre, la pandémie, le climat cognent aujourd'hui contre nos certitudes d'alors et l'angoisse est palpable. Les retraites, mais pas seulement, sont héritées d’une société passée qui est compliquée à maintenir telle qu'on l'a connue. L'avenir des retraites ne peut donc s'imaginer tout seul. Il dépendra de chaque petit recoin de l'évolution de notre société.

«Peut-être que la logique de solidarité changera dans le futur. Revenir sur des organisations du foyer avec davantage de proximités, pour soutenir ceux qui ne peuvent pas subvenir à leurs besoins. Des économies parallèles, plus informelles, organisées par quartier ou région»
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