La délégation suisse de l'association Défense de la langue française (DLF) déplore l'utilisation «arbitraire» et «abusive» de l'écriture inclusive dans les documents officiels vaudois. Leur mécontentement figure dans une lettre ouverte, adressée à Nuria Gorrite, présidente du Conseil d'Etat. Une initiative populaire contre l'écriture inclusive est même en préparation.
Le ton est ferme. «Madame la présidente du Conseil de l’Etat de Vaud, […] Nous ne pouvons accepter une pareille dérive de notre langue française par l’insertion de points fantaisistes, qui rendent quasi illisibles vos messages et autres directives», écrit Aurèle Challet, président de la délégation DLF-Suisse.
Le francophile pointe du doigt une recommandation très précise de l'écriture inclusive, à savoir l'utilisation du point médian « · », qui permet de contracter les variantes féminines et masculines de certains mots.
En visitant le site web de l'Etat de Vaud, l'internaute trouve effectivement ce genre de publication.
Vous le voyez le point médian? Il est ci-dessous (encadré en rouge).
Cette pratique pose problème aux défenseurs de la langue française. Pourquoi? Le courrier de la délégation DLF-Suisse souligne les points suivants.
Face à ces mots percutants, la curiosité journalistique s'éveille. D'où vient la sensation d'insulte? Alors que de plus en plus de minorités se font entendre pour plus d'égalité, le courrier de la délégation DLF-Suisse est-il politisé? Notre rédaction a composé le numéro de téléphone de son président. Gare aux préjugés! L'homme, apolitique, est un Jurassien d'origine, qui, durant sa jeunesse, s'est frotté plusieurs fois à la justice pour défendre la langue française. À l'époque, le duel «français vs allemand» représentait un combat de société.
Aujourd'hui, Aurèle Challet représente une centaine de membres suisses, dont des Alémaniques. Leur point commun? Lutter pour l'application correcte de la langue française.
Votre association qualifie l'utilisation de l'écriture inclusive comme «abusive». Faut-il comprendre que vous l'acceptez, mais à petites doses?
Aurèle Challet: Non, je vais être catégorique, il s'agit d'une aberration. C'est un abus et tout abus est mauvais. Nous luttons contre l'écriture inclusive. Nous la considérons comme une dérive. Ça n'apporte rien à la compréhension d'un texte, au contraire, ça l'alourdit. La lecture devient impossible, ça n'a pas de sens!
Arrêtons-nous sur les expressions «liberté graphique» ou encore «points fantaisistes», qui figurent dans votre courrier. Vous n'y allez pas un peu fort avec ces mots?
Absolument pas, ces mots ont été choisis et réfléchis.
Sur le site web de l'association DLF, qui englobe toute la francophonie, le langage est défini comme l'âme d'un peuple. Justement! Ce même peuple dénonce aujourd'hui massivement les inégalités liées au genre. N'est-il donc pas approprié de laisser cette âme s'exprimer?
Attention, il ne faut pas tout mélanger. Nous sommes dans une démocratie, où la majorité l'emporte. Les minorités - tout le monde en fait - a le droit de s'exprimer. Maintenant, si on parle des inégalités, malheureusement ce problème existera toujours. En ce qui nous concerne, nous ne sommes ni sectaires, ni politiques, et restons ouverts aux autres.
Alors êtes-vous des puristes?
Non, pas du tout. Avec l'écriture inclusive, nous ressentons une attaque, nos cerveaux se font polluer. Il n'y a pas de raison pour empêcher le bon apprentissage de la langue française. Imposer l'écriture inclusive revient à menacer notre langue. Le français est en péril de mort!
Dans un entretien, accordé au journal 24 heures, le psycholinguiste Pascal Gygax cite le conservatisme ou encore le sexisme comme potentielles raisons pour expliquer les réticences à l’écriture inclusive. Vous reconnaissez-vous dans cette analyse?
Non. Moi je me reconnais là où il y a de la raison et du bon sens. Il convient de rappeler que le but de l'expression écrite est de se faire comprendre par tous. De ce point de vue, l'écriture inclusive est en réalité une construction artificielle, qui ne cause aucune amélioration matérielle dans les combats comme l'inégalité salariale, que je déplore. Elle renforce en revanche d'autres inégalités existantes comme la dyslexie. On nous marche sur la tête avec cette histoire. J'ai envie de remettre les points sur les i et pas entre les lettres.
Le DLF-Suisse lancera, d'ici la fin de l'année, une initiative populaire pour interdire l'usage de l'écriture inclusive. Une pareille interdiction semble très limitante, quelle place accordez-vous à l'évolution de la langue française?
Toutes les langues évoluent et c'est normal. Les nouveaux mots arrivent dans le dictionnaire, et l'Académie française est le gardien de ce trésor. Déjà que les gens perdent le goût de la lecture, il est inacceptable d'imaginer des points médians jusque dans les documents officiels de l'Etat.