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Interview

Infertilité en Suisse: «Un couple sur six est concerné»

«Un couple sur six est concerné par l'infertilité en Suisse»

Selon l'OMS, environ une personne sur six est confrontée à l'infertilité, phénomène récemment qualifié de «tabou du siècle» par le président français Emmanuel Macron. Est-ce vraiment le cas? Quelles sont les solutions? Les réponses d'une spécialiste.
21.01.2024, 19:0122.01.2024, 09:18
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«Réarmement démographique»: c'est avec cette expression qu'Emmanuel Macron a présenté son «plan» pour lutter contre la baisse de la natalité en France, au plus bas depuis la Seconde Guerre mondiale. Lors d'une conférence de presse qui a fait beaucoup parler, mardi dernier, le président français a désigné un coupable: l'infertilité, qu'il a qualifiée de «fléau» et de «tabou du siècle».

Pour l'Organisation mondiale de la Santé (OMS), l'infertilité est une «maladie» définie par «l’incapacité d’obtenir une grossesse après 12 mois ou plus de rapports sexuels réguliers non protégés». L'agence des Nations unies estime qu'une personne sur six est confrontée à ce problème, qui concernerait un couple sur quatre en France.

Qu'en est-il en Suisse? Comment explique-t-on ce phénomène? S'agit-il vraiment du «tabou du siècle», comme l'affirme Macron? Et quelles sont les solutions? Nous en avons parlé avec Dorothea Wunder, spécialiste FMH en gynécologie et obstétrique à l'Hôpital cantonal fribourgeois.

Quelles sont les causes de l'infertilité?
Dorothea Wunder: De nombreux éléments expliquent ce phénomène. Dans les pays industrialisés, la première cause d'infertilité est l'âge des femmes, qui tendent à avoir des enfants de plus en plus tard.

«On constate également une péjoration de la qualité des spermatozoïdes: leur nombre et leur mobilité diminuent, mais les raisons expliquant ce phénomène ne sont pas claires»

Il y a ensuite un large éventail de causes plus «médicales»: des infections, qui peuvent par exemple boucher les trompes, des problèmes hormonaux, ainsi que des malformations, au niveau de l’utérus ou des testicules notamment. L'endométriose est également une cause d'infertilité répandue.

Dorothea Wunder est spécialiste FMH en gynécologie obstétrique.
Dorothea Wunder est spécialiste FMH en gynécologie obstétrique.Image: dr

Le style de vie peut-il également influencer les choses?
Oui. Les problèmes liés à l'alimentation, comme l'obésité ou l’anorexie, peuvent jouer un rôle très important. La première en particulier, puisqu'elle est plus répandue que l'anorexie, et est en augmentation, y compris chez nous. L'obésité peut provoquer des troubles au niveau métabolique et hormonal. Le tabagisme, l'alcool et la drogue sont également très néfastes, mais ce n'est pas une nouveauté.

Qu'est-ce que vous entendez par là?
L'infertilité a augmenté depuis les 50 dernières années, au cours desquelles il y a eu beaucoup de changements sociétaux. Mais on ne constate pas une hausse significative sur des périodes plus courtes, comme les trois ou quatre dernières années. Ce qui a surtout changé, c'est l'âge des femmes, qui deviennent mères de plus en plus tard. C'est compréhensible, il suffit de regarder la situation en Suisse: concilier le travail et la vie de famille est compliqué.

«Ce n'est jamais le bon moment pour faire un enfant, et quand on se décide, c'est peut-être déjà trop tard»

Quelles sont les solutions?
Le style de vie a un impact énorme sur l'infertilité. Pour cette raison, nous proposons toujours d'améliorer la santé avant un traitement médical. Diminuer le poids, améliorer l'alimentation, cela peut augmenter de beaucoup les chances de tomber enceinte, mais permet également d'éviter les risques de fausse couche, tout comme les complications pendant la grossesse. Bien sûr, cela n'est pas toujours possible, et c'est pour cette raison que la procédure à adopter doit toujours être individualisée. Si la femme a déjà 39 ou 40 ans, par exemple, elle n'a plus beaucoup de temps et est donc confrontée à un dilemme. Parfois, il n'y a tout simplement pas d'autre choix que de procéder à un traitement médical.

Comment faut-il procéder alors?
Il faut d'abord identifier les causes. Dans environ 30% des cas, le problème réside chez la femme, dans 30% chez l'homme, et dans 30%, c'est mixte. Dans les restants 10%, il est impossible de le savoir. Une fois la cause détectée, on discute du traitement le plus adéquat à adopter.

Quelles sont les options?
Le traitement peut être seulement médicamenteux, ou demander une insémination intra-utérine avec le sperme du conjoint. La fécondation se produit alors dans le corps de la femme, c'est ce qu'on appelle un traitement hors-FIV. Si cela n'est pas possible, lorsque par exemple les trompes sont bouchées, il est possible de procéder à la fécondation in vitro (FIV), qui est effectuée en laboratoire, et donc à l'extérieur du corps de la femme.

«Les couples connaissant des problèmes de fertilité masculine peuvent également choisir le don de sperme»

En Suisse, cela est possible pour les couples hétérosexuels mariés et les couples de femmes, qui doivent également être mariées.

Qu'en est-il des pratiques qui ne sont pas permises en Suisse?
Deux traitements sont interdits en Suisse: la mère porteuse et le don d'ovules. Ce dernier a été plus ou moins accepté, mais la loi n'a pas encore été adaptée, ce qui va prendre encore quelques années. La mère porteuse est un thème très complexe et, au niveau médical, on en a rarement besoin. En revanche, le don d'ovules serait très pratique pour les femmes qui peuvent en avoir besoin. Cela leur éviterait de devoir se rendre à l'étranger, où cette pratique est permise.

«Le faire en Suisse serait moins stressant, plus sécurisant, et cela ne leur donnerait pas l'impression de faire quelque chose d'interdit»

Les traitements sont-ils pris en charge par l'assurance maladie?
Les traitements hors-FIV sont généralement pris en charge, mais il faut faire une demande auprès de l'assurance maladie et il se peut qu'elle refuse, si la femme est jugée trop âgée, par exemple. La FIV ne l'est pas, contrairement à la France et à d'autres pays.

Revenons aux déclarations d'Emmanuel Macron. Pensez-vous que l'infertilité soit un tabou aujourd'hui?
Beaucoup moins qu'à l'époque. En plus de 20 ans de pratique, j'ai constaté que la société a fondamentalement changé. Les gens parlent beaucoup plus librement de la fécondation in vitro par rapport au passé, quand personne en dehors du médecin ne devait savoir. Chez les hommes aussi, il n'est plus tellement une honte d'admettre que ses spermatozoïdes bougent moins. Internet et les réseaux sociaux ont sans doute contribué à cette libération de la parole.

«Il faut aussi dire qu'un couple sur six est concerné, ce qui fait que le problème est assez fréquent»

En revanche, le don de sperme peut toujours être un tabou, et on peut le comprendre. Pour les femmes, cela ne doit pas être facile d'avoir la graine de quelqu'un d'autre. Parfois, dans ces cas, on n'ose pas le dire à l'enfant, bien que ce soit quelque chose qu'on recommande toujours.

Est-il légitime d'expliquer la baisse de la natalité par l'infertilité?
Non, il serait trop simpliste de réduire la baisse de la natalité à l'infertilité. La natalité diminue depuis les années 1970, surtout pour des raisons sociétales. Alors oui, si les femmes décident d'avoir des enfants plus tard, elles peuvent rencontrer des problèmes. Mais il y a beaucoup de couples qui décident tout simplement de ne pas en avoir, ou d'en avoir un seul, pour plein de raisons différentes. Il y a certainement beaucoup de facteurs. Surtout parce que les traitements sont là, et ils sont efficaces.

Elle vit avec la forme la plus grave de l'endométriose
Video: watson
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