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Léman Bleu: «Je pensais qu’il allait me lancer de l’acide»

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Genève: «Je pensais qu’il allait me lancer de l’acide au visage»

Dimanche, au beau milieu des résultats de l'élection du Conseil d'Etat genevois, un militant climatique s'est collé la main sur le pupitre du rédacteur en chef de la chaîne Léman Bleu. Jérémy Seydoux revient avec nous, à froid, sur une action qu'il «condamne» (après avoir eu un bon coup de frayeur), mais aussi une séquence qui a très vite dépassé nos frontières.
01.05.2023, 17:2105.05.2023, 14:11
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«La honte. C'est la honte. La honte!» C'est probablement le mot que le rédacteur en chef de la télévision genevoise Léman Bleu a répété le plus souvent, dimanche. On exagère à peine. A la barre d'une ambitieuse émission politique, réalisée en direct et déployée dans le cadre de l'élection du Conseil d'Etat du bout du lac, Jérémy Seydoux s'est vu interrompre par un activiste flanqué des couleurs d'Extinction Rebellion. Les résultats des urnes tombaient dru quand le jeune homme, sans micro, a fait irruption sur son plateau pour se coller la main droite sur le pupitre principal.

Notre analyse sur l'élection:

La séquence est courte, mais a passablement marqué les esprits. Durant deux minutes, le jeune rédacteur en chef a gardé l'antenne, ces invités face à lui, tout en se dépatouillant avec ce que l'on appelle dans le métier les aléas du direct.

«Vous prenez en otage une émission démocratique. Le peuple a voté aujourd’hui. Et vous venez coller votre main sur ce plateau. Je refuse de co-animer cette émission avec vous, c’est une honte!»
Jérémy Seydoux, rédacteur en chef de la chaîne Léman Bleu, durant l'action du militant d'Extinction Rebellion, dimanche.

Si cette technique militante de la main collée sur une surface (bitume, œuvre d'art...) n'est plus une nouveauté, elle est plutôt inédite sur un plateau de télévision suisse. Revendiquée par le mouvement Extinction Rebellion, qui se dit notamment «choqué par le désistement de la droite genevoise pour le seul débat concernant l’urgence climatique», l'action visait «à prononcer un discours sur l’urgence d’agir hors des clivages politiques». Selon leur communiqué, diffusé dimanche, le militant a été entendu, en garde à vue, «pendant une heure».

«Les solutions sont claires, nous devons arrêter les énergies fossiles et la surconsommation»
Extinction Rebellion

Nous avons lancé un coup de fil au rédacteur en chef de Léman Bleu histoire de revenir, à froid, sur les événements.

Durant les premières secondes de cette séquence, on vous voit opérer un brusque mouvement de recul. Vous avez eu peur?
Jérémy Seydoux: Oui, sur le moment, j'ai eu peur. Au début, j'ai vraiment un mouvement de panique. Je vois ce Monsieur qui surgit derrière moi et qui sort un flacon. Je pensais qu'il allait me jeter de l'acide au visage. Il faut comprendre que l'on a un passif à Genève, des gens qui se sont fait entarter, des élus menacés de mort. Ce n'était pas simplement le manifestant traditionnel qui vient pousser son coup de gueule, comme on en a à chaque élection.

La peur a rapidement laissé sa place à l'agacement.
Quand il a collé sa main, j'ai compris que c'était Extinction Rebellion et que j'allais potentiellement devoir passer la journée avec ce Monsieur, ça m'a profondément énervé.

Pourquoi?
Pour plusieurs raisons. D'abord, parce que c'est une prise d'otage d'une émission démocratique.

«Je considère que c'est une effraction. On entre par effraction et on s'impose par la force physique»

Vous répétez un mot à plusieurs reprises...
La honte?

Un militant se colle la main sur le plateau de Léman Bleu

Vidéo: twitter

Oui, voilà, «la honte».
Disons que c'est un moment qui aurait très bien pu être volé à Genève, aux Genevois, aux électeurs. Nous étions dans le dernier chapitre d'une élection importante, qui a d'ailleurs réuni une participation très forte aux urnes, d'un événement démocratique très attendu par les citoyens. Ils ont fait l'effort d'aller voter. Ce plateau, c'est un moment pour le peuple, un moment démocratique.

A chaud, vous avez d'ailleurs largement laissé s'exprimer votre propre opinion personnelle sur ce type d'actions. Un réflexe?
Oui, je pense qu'à un moment donné, ça a éclaté. Mais je le redis sans problème: je condamne ces méthodes, car je considère que ce n'est pas ainsi que l'on fait de la politique. Je suis un homme démocrate et si je fais le métier de journaliste, c'est précisément parce que j’ai confiance en nos outils démocratiques. En général, je ne le dévoile pas facilement, mais je ne pense pas prendre trop de risques en donnant mon avis sur ce genre de démarche. J'assume.

Durant l'incident, on peut entendre des huées qui s'échappent du public. Comment décririez-vous l'atmosphère qui régnait sur votre plateau?
Sur le moment, il y avait un tel degré d'énervement autour de moi, que si le Monsieur était resté quelques minutes de plus, le problème inverse se serait rapidement posé.

C'est-à-dire?
Il aurait fallu le protéger, lui, du public. Un public qui, je peux vous l'assurer, était dans un état de colère dix fois supérieur au mien.

Sur les réseaux sociaux, on vous a reproché d'être entouré de «petits bourgeois» d'ordinaire peu émus par la cause défendue par les militants climatiques. On peut notamment lire sur Twitter: «Pouah! Un gueux! Qu’est-ce que c’est que ce binz?»
Il faut savoir que les militants de gauche étaient encore en train d'attendre les résultats définitifs. Et les partisans étaient derrière les pupitres avec des drapeaux et, derrière moi, il y avait surtout des badauds, du public, des grappes de gens qui passaient par là.

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Sur Twitter toujours, vous précisez que le jeune homme en question avait eu la parole sur votre antenne, une semaine plus tôt. C'est une autre raison de votre agacement?
Nous avons toujours donné la parole à tout le monde sur notre chaîne, laissé les avis s'exprimer et posé toutes les questions sur la table. C'est un gros travail qui a été abattu par nos équipes pour susciter cet engouement démocratique. Dix jours avant, ce Monsieur était dans l'un des sujets du journal, précisément dédié à l'absence de la question climatique dans la campagne.

«Il y a quelque chose d'un peu pathétique. Venir coller sa main sur mon pupitre alors que nous lui avons tendu le micro dix jours avant. Personne n'a compris le sens de cette démarche. Si ce n'est peut-être de faire le buzz?»

Le buzz, parlons-en: on peut dire qu'il est réussi, non?
Oui, ce Monsieur a fait son buzz international. Les images ont rapidement fait le tour de la planète, l'agence AP nous a écrit, Reuters voulait les images, BFM TV aussi. Bon... la séquence fera les bêtisiers et ça va me suivre pendant des années, voilà tout.

Le Parisien, à 15h, lundi 1er mai, avait publié un article sur l'incident.
Le Parisien, à 15h, lundi 1er mai, avait publié un article sur l'incident.capture d'écran Le parisien

Que se passe-t-il dans votre tête pendant deux minutes?
On est dos au mur! Tout va très vite. Il faut tout de même réaliser que si le moment a été très intense, il est extrêmement court. J'aurais pu faire des gags ou arrondir les angles, mais si je n'avais pas pris la parole fermement, on aurait très bien pu me reprocher de légitimer l'intervention. La position des Verts est d’ailleurs ambigüe sur cette question et je considère que c'est un problème.

«Je ne trouve pas acceptable qu'Antonio Hodgers, par exemple, minimise et tourne en dérision cet événement. On ne peut pas à la fois être au cœur du pouvoir et instiguer ce genre d'actions en soufflant sur les braises»

Techniquement, comment gère-t-on ce type d'événement en direct? Vous aviez le réalisateur dans votre oreillette?
A la fin du direct, mon chef d'édition m'a dit qu'ils ont simplement suivi mes instructions. Quand j'ai dit à ce Monsieur "je refuse de coanimer cette émission avec vous", ils ont immédiatement basculé d'angle, ils l'ont sorti du cadre.

Et vous avez ensuite proposé d'amener un micro au militant.
Les techniciens, qui étaient encore plus en colère que moi, ont très vite trouvé du dissolvant et sont venus sur le plateau pour décoller le Monsieur.

Le jeune homme a d'abord été évacué par les techniciens de Léman Bleu, puis pris en charge par la police.
Le jeune homme a d'abord été évacué par les techniciens de Léman Bleu, puis pris en charge par la police.capture d'écran Léman bleu sur twitter

Vous allez renforcer la sécurité durant les prochaines émissions décentralisées et en direct?
Nous devons encore débriefer l'événement au calme, à l'interne, mais il n'est pas non plus question que j'anime désormais des débats devant une grille de sécurité, ça n'a pas de sens. C'est fâcheux, car Léman Bleu a toujours eu à cœur de se rendre accessible. C'est un lien de confiance que l'on tisse depuis de nombreuses années avec le public.

«Et ça fait partie de notre ADN d'être au cœur du débat, proche des gens, d’avoir un contact direct avec eux. J'aime profondément cela. Je revendique le fait que l'on n'ait rien prévu pour pallier ce type d'événement. Mais ça crée un précédent, c'est certain»
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C'est ce qu'on appelle un «moment de télé». Certains observateurs affirment que vous auriez pu continuer l'émission en quittant simplement votre pupitre et rejoindre vos invités.
Un incident de moins de trois minutes, sur trois d'heures d'émission en direct, on ne peut pas nous reprocher d'avoir voulu volontairement faire le buzz. Ils sont gentils les inspecteurs des travaux finis!

A froid, en revoyant les images, vous êtes plutôt satisfait de votre réaction?
Je n'aurais rien fait différemment. Tout ce que j'ai dit ou fait durant cet événement éclair sortait du cœur, j'ai été sincère. Et c'est probablement le plus important pour le public.

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source: sadanduseless
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