Le Jura s'apprête à vivre un automne chaud. En effet, un projet de géothermie profonde – le seul de Suisse – se concrétise et empoisonne la région. Actuellement, des mesures géophysiques sont encore en cours, mais dès l'automne, les pelleteuses s'activeront dans la commune de Haute-Sorne pour construire le site de forage. C'est à partir de là que l'on forera un jour à une profondeur de 5000 mètres afin d'utiliser la géothermie pour la production d'électricité.
L'entreprise en charge, Geo-Energie Suisse, veut montrer avec ce projet que la géothermie peut encore devenir un pilier important du tournant énergétique, et ce malgré l'échec des projets de Saint-Gall et de Bâle, abandonnés à cause des tremblements de terre. Selon la Confédération, la géothermie devrait permettre de produire deux térawattheures d'électricité par an d'ici 2050, ce qui correspond aux deux tiers de la puissance de la centrale nucléaire de Mühleberg, aujourd'hui, démantelée. Mais pour cela, il faudrait une cinquantaine d'installations comme celle de Haute-Sorne.
Problème: plus le projet pilote subventionné par la Confédération se concrétise, plus l'opposition grandit. L'organisation «Citoyens responsables du Jura» appelle à une manifestation, le 2 septembre, dans le chef-lieu du canton, Delémont. Interrogée, la ville confirme avoir autorisé la manifestation. On s'attend à plus de 1000 participants. C'est le nombre de personnes qui avaient déjà réclamé l'arrêt du projet lors d'une manifestation en mai dernier.
Les opposants à la géothermie ne recourent pas tous à des moyens légaux. Plusieurs actions ont récemment débouché sur des plaintes pénales:
Interrogée, la procureure en charge du dossier, Laurie Roth, a indiqué qu'il n'y avait pas de nouveaux développements dans l'affaire des menaces contre l'élu. Une autre procédure a été classée: il s'agit de menaces contre une personne qui s'était exprimée dans la presse jurassienne en faveur du projet de géothermie. Le climat est donc très, très tendu dans la région.
L'association «Citoyens responsables du Jura», qui se mobilise politiquement contre le projet, s'est à chaque fois distanciée de ces violations de la loi. L'identité des gens à l'origine de ces actions illégales reste, quant à elle, floue.
Chez Geo-Energie Suisse, on parle d'une «campagne malveillante». Le site de Haute-Sorne est donc surveillé par un service de sécurité. Avec le début des travaux préparatoires, le dispositif sera encore renforcé, déclare le CEO Peter Meier. Il qualifie la résistance «d'incompréhensible». D'une part, le projet dispose depuis 2018 d'une autorisation juridiquement valable. D'autre part, il y aurait un arrêt de la marche après le forage d'exploration, prévu au printemps 2024.
Geo-Energie Suisse estime la probabilité d'un abandon du projet à ce stade entre 15 et 25%. La condition du canton est, en effet, qu'après le premier forage, les risques soient analysés avant de poursuivre le forage et de stimuler le sol par des injections d'eau. Ces injections sont nécessaires pour créer des fissures en profondeur dans lesquelles l'eau peut circuler et se réchauffer et ensuite permettre la production d'énergie, on l'a compris. Par rapport au projet bâlois qui a échoué, Geo-Energie Suisse mise sur un procédé adapté avec des stimulations moins importantes. Si tout se déroule comme prévu, les initiateurs estiment qu'environ 6000 ménages pourraient être alimentés en électricité dès 2029.
L'organisation «Citoyens responsables du Jura», qui n'a pas répondu aux demandes de CH Media, ne fait pas confiance au projet. Elle craint les tremblements de terre et la pollution de la nappe phréatique. Les opposants à la centrale ne cessent de répéter que le permis de construire n'est plus valable, car il date de plus de deux ans. Le canton du Jura estime cependant, que le délai est de dix ans, soit jusqu'en 2028. Un bras de fer juridique est prévisible.
Sur un autre point, les opposants ont déjà été déboutés par la justice. Ils voulaient faire voter la population sur une interdiction de la géothermie dans le Jura. Mais le tribunal cantonal a jugé l'initiative «incompatible avec le droit fédéral».
Il n'en reste pas moins que le peuple n'a jamais pu s'exprimer sur ce projet précurseur — et que les opposants font part de leur mécontentement ailleurs.
Traduit et adapté par Noëline Flippe