Suisse
Justice

Procès de Tariq Ramadan à Genève: alors, c'est qui le patron?

GERICHTSZEICHNUNG - Un dessin montre Tariq Ramadan dans la salle d'audience du Tribunal correctionnel de Geneve lors de l'ouverture de son proces le lundi 15 mai 2023 a Geneve. Le proces de  ...
Tariq Ramadan, Genève, 15 mai 2023.Image: KEYSTONE

Procès Ramadan à Genève: «Je n'ai violé personne sur la surface de cette Terre»

Le procès du volet suisse de l'affaire Tariq Ramadan a commencé lundi, à Genève, dans une atmosphère lourde. Accusé de viol par la plaignante «Brigitte», c'est lui qui est passé à l'attaque. Dieudonné annoncé mardi comme témoin.
15.05.2023, 18:4817.05.2023, 06:46
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Que s’est-il passé dans la nuit du 28 au 29 octobre 2008, dans la chambre d’un hôtel genevois de la rive droite? Un viol? Une contrainte sexuelle? Brigitte, la plaignante, un prénom d’emprunt protégeant son identité, l’affirme. Tariq Ramadan nie toute violence. Parle d’un «traquenard». Quinze ans après les faits reprochés, cinq ans après le début de la procédure, le procès du volet suisse de l’affaire Ramadan s’est ouvert lundi à Genève devant le tribunal correctionnel. Les audiences doivent durer jusqu’à mercredi. Le jugement sera rendu le 24 mai. Les médias sont présents en nombre, 40 ont fait le déplacement, une bonne moitié venant de France. La célèbre romancière et dramaturge Yasmina Reza est là en spectatrice.

Tariq Ramadan, l’accusé, 60 ans, excédé d’avoir à se retrouver devant un tribunal, dans son pays, ce qu’il n’aurait jamais imaginé, dit-il, n’a visiblement plus grand-chose à perdre: il est atteint de sclérose en plaques, comme on le sait depuis son incarcération provisoire, dix mois durant, en 2018, en France; ses capacités physiques et intellectuelles sont altérées; elle ont récemment encore diminué; son psychiatre lui a conseillé de ne pas se présenter à l’audience, une situation stressante, mauvaise pour sa santé. Mais ce procès, enchaîne-t-il, lui permettra de faire éclater la vérité. Alors il est là, costume sombre, barbe courte, joues creuses, tout devant face aux juges, épaulé par la présence de ses enfants dans la salle.

Qui mène les débats? On dirait bien que c'est lui. Il attaque. La partie civile qui l’interroge semble fébrile, sinon faiblarde. La défense, représentée par Mes Guerric Canonica et Yaël Hayat, ne la loupe pas, l’interrompt, la coupe de manière intempestive. Elle lui reproche de créer la confusion en mélangeant les dossiers suisse et français. Même le président du tribunal, Yves Maurer-Cecchini, s’y met: «C’est une question rhétorique», indique-t-il sèchement à Me François Zimeray, l’un des conseils de Brigitte avec Me Robert Assael.

La voix étranglée d’émotion, Tariq Ramadan s’emporte, peut-être le climax de cette journée:

«Ce que je vis depuis cinq ans, c’est une torture pour moi et ma famille, je n’ai violé personne sur la surface de cette Terre»

Tariq Ramadan se pose en victime, hausse le ton contre Me Zimeray, qui chercherait à mettre en doute son état de santé. Il est 15h45 au premier jour du procès et Tariq Ramadan plaide sa cause de tout son soûl.

C’est par «curiosité», non dans la perspective d’une «discussion philosophique» ou d’une «relation sentimentale», que l’islamologue genevois, alors auteur d’ouvrages et conférencier à succès, désiré comme une rock star, finit par rencontrer Brigitte en cette fin d’octobre 2008. Elle lui a envoyé dans les semaines précédentes «40 messages», sur Facebook.

La rencontre à l'hôtel

Swiss leading Islamic scholar Tariq Ramadan (2nd from L) arrives with his lawyers Yael Hayat (L), Guerric Canonica (R) and Theo Badan (2nd from R) at Geneva's courthouse for a first day of hearin ...
Tariq Ramadan (2e en partant de la gauche) et ses avocats. Genève, 15 mai 2023.Image: KEYSTONE

Que disent-ils? Qu’elle l’«aime», le «trouve sexy», que sa «sœur a été l’une de ses élèves». Tariq Ramadan est intrigué. Sa correspondante écrit bien, a de l’esprit, dit-il. Brigitte était insistante, affirme-t-il, parlant a posteriori de «harcèlement». Il la reçoit donc à l’hôtel, dans le lobby, autour d’un café. Là, il est question d’un fer et d’une planche à repasser demandé par Tariq Ramadan à la réception, pour remettre d'aplomb ses habits en vue du lendemain. Brigitte, relate la défense comme dans un appel du pied à son client, affirme que ce matériel lui aurait été fourni dans le lobby. «C’est faux, il m’a été monté dans ma chambre, jamais l’hôtel n’apporte ce genre de choses dans le lobby à un client», rétorque l’islamologue.

La plaignante affirme être montée dans la chambre avec Tariq Ramadan. Qui conteste: il est remonté seul après environ deux heures de conversation au rez-de-chaussée avec cette admiratrice. Elle s’est arrangée pour connaître le numéro de sa chambre et l’a rejoint. Il lui a ouvert la porte, l’a fait entrer. C'est ce que dit Tariq Ramadan et c’est là que tout a véritablement commencé.

«Elle m'a mis une jambe sur la mienne, m'a embrassé»

Tariq Ramadan, qui confesse la faute morale de ses relations extraconjugales, mais refuse que cet aspect de sa vie influe dans la décision de justice à venir, livre sa version: Brigitte, précédemment convertie à l’islam, s’est assise sur le lit. «Elle m'a mis une jambe sur la mienne, m'a embrassé», raconte--t-il. Elle était coiffée d’un bandeau avec des cheveux dépassant de part et d’autre, la dépeint-il, la présentant avec des origines africaines. Il lui saisit la tête, sans violence, précise-t-il, des cheveux lui restent dans les mains, des «extensions capillaires», dit-il. Mouvement de recul de l'un et de l'autre: deux taches de sang apparaissent sur le lit, une autre sur le pantalon de l’islamologue. C’est alors qu’il se serait emporté verbalement: «Mais t’es conne!» ou quelque chose dans le genre. Brigitte a ses règles.

«Je n’aurais pas dû m’emporter, je regrette, mais j’ai pensé à un piège», argue-t-il. Un piège? Tariq Ramadan déroule: il cite à plusieurs reprises l’essayiste française Caroline Fourest, auteure d’un «Frère Tariq» à charge au début des années 2000, le journaliste et paparazzo franco-israélien Jean-Claude Elfassi, le journaliste français Ian Hamel, auteur en 2020 de «Tariq Ramadan, histoire d’une imposture», évoque le nom de la compagne du spécialiste de l’islamisme Gilles Kepel.

«Ennemi idéologique»

A l’époque, aux alentours de 2009, autrement dit après les faits reprochés, les personnes nommées plus haut auraient cherché à faire tomber leur «ennemi idéologique». Le prévenu se réfère à des messages figurant dans l’instruction, côté France comme côté suisse. Plus tard, les futurs plaignantes, quatre en France, Brigitte en Suisse, entreront en relation entre elles – Brigitte en connaissait au moins d’eux, l’une adepte des relations «sado-maso», l’autre, de «scatologie», balance Tariq Ramadan.

«Je n’ai pas eu de relations sexuelles avec Brigitte (dans la nuit du 28 au 29 octobre)», affirme Tariq Ramadan. Celle-ci, comme l’indique l’acte d’accusation, décrit une nuit d’horreur: pénétration et fellation forcées, des insultes, des coups. Comment cela aurait-il été possible?, proteste le mis en cause. Les murs de la chambre sont une passoire sonore; des clients, le personnel de l’hôtel aurait entendu quelque chose, soutient-il.

Le matin du 29, Brigitte, qui a passé la nuit dans la chambre de l’islamologue, s’en va. Rien des messages qu’elle lui envoie par la suite ne laisse penser qu’un viol a été commis dans l'hôtel genevois. Elle est accro, comprend-on, mais lui ne veut à présent plus la voir. Elle a vécu la réaction énervée de Tariq Ramadan à la vue du sang de ses règles, ensuite son refus de la revoir, comme une «double humiliation», analyse-t-il. «Elle a voulu détruire un homme et ma famille, qu'elle connaît. Je regrette d'avoir répondu à son message. Je ne pouvais pas penser qu'elle irait aussi loin pour se venger d'une blessure sentimentale.» S'adressant à Brigitte sans se retourner:

«Le pire, pour une femme, est de mentir sur un viol qui n'a pas eu lieu»
Tariq Ramadan

A l’heure où nous bouclions le présent article, le tribunal devait entendre, dans la soirée, encore un témoin, peut-être ensuite la plaignante, qui n’a pas encore parlé et qui a demandé à être séparée de Tariq Ramadan par une sorte de paravent.

Dieudonné et la lettre anonyme

On annonce la venue, mardi, de Dieudonné. Il y a quinze jours, le tribunal genevois a reçu une lettre anonyme. Y sont cités deux individus, dont Dieudonné. L'un et l'autre auraient été en contact avec la plaignante. Elle leur aurait confié avoir eu une relation sexuelle avec Tariq Ramadan et précisé qu'il ne l’aurait pas violée.

Quel cas le tribunal fera-t-il de cette lettre anonyme? Sera-t-elle, à l’avantage du prévenu, ce qu’avait été le «bordereau» de l’affaire Dreyfus, cette pièce d’un dossier d’accusation faussement interprétée, qui avait conduit le capitaine, parce que juif, à l’île du Diable? Même si elle remet en cause la version de l’islamologue, qui nie toute relation sexuelle avec Brigitte dans la nuit du 28 au 29 octobre 2008, la présente lettre anonyme l'innocente sur le viol. La défense n’a pas résisté à la tentation de faire citer Dieudonné comme témoin. Une connaissance de Tariq Ramadan. «J’ai dû le rencontrer deux ou trois fois. J’ai défendu sa liberté d’expression, mais je n’ai pas partagé son combat lorsqu’il s’est engagé aux côtés d’Alain Soral (réd: intellectuel d'extrême droite)», a-t-il répondu au président du tribunal qui l'interrogeait à ce popos.

Intervention policière à Genève
Video: watson
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