Le Tribunal fédéral a-t-il fait preuve de mépris pour la séparation des pouvoirs dans un arrêt phare, au grand dam des locataires? Selon la Sonntagszeitung, ce serait le cas. Le journal parle d'une «magouille du PLR». La conseillère nationale Jacqueline Badran (PS, ZH) parle d'un «scandale déguisé».
Que s'est-il passé? Le 16 novembre 2020, la première Cour de droit civil du Tribunal fédéral a publié un arrêt de principe. Il a donné raison au recours d'une bailleuse et a fixé le loyer maximal autorisé pour un appartement de 4½ pièces dans le canton de Vaud à 1390 francs par mois. Auparavant, le Tribunal des baux et le Tribunal cantonal avaient fixé la limite à 900 francs par mois. L'affaire avait été portée devant les tribunaux par une famille qui avait contesté un loyer de 2190 francs, le jugeant trop élevé.
Avec cet arrêt, le Tribunal fédéral a renversé sa jurisprudence. Il a nettement augmenté le rendement admissible lors de la fixation d'un loyer, également appelé rendement net. Alors qu'il ne devait pas dépasser de plus de 0,5% le taux d'intérêt de référence hypothécaire (actuellement 1,25%), il peut désormais le dépasser de 2% au maximum.
Ce jugement a été rendu exclusivement par des juges issus de partis bourgeois (UDC, PLR et Centre). Détail non négligeable, selon les opposants: le jugement rédigé par la juge fédérale PLR Christina Kiss se réfère explicitement à une initiative parlementaire du conseiller national PLR Olivier Feller. Il avait exigé l'adaptation de la pratique du droit de bail ordonnée par le tribunal. Selon l'avis de Feller, «la réglementation en vigueur n'est pas adaptée à la situation actuelle», peut-on lire dans le jugement.
Un point de vue que partage le tribunal. En effet, le plafond du rendement net date d'une époque où les taux d'intérêt hypothécaires étaient élevés. En raison de la baisse des taux d'intérêt, la méthode de calcul actuelle aboutit à des revenus locatifs très faibles, écrit le tribunal dans un communiqué:
Le problème pointé par la gauche? L'intervention de Feller était encore en suspens au Parlement lors de la publication de l'arrêt. Entre-temps, elle a échoué. Le Tribunal fédéral a certes le droit d'interpréter le rendement net admissible dans le cadre de la marge d'appréciation laissée par le législateur, déclare la conseillère nationale Natalie Imboden (Verts/BE), secrétaire générale de longue date de l'association des locataires:
D'une manière générale, le tribunal a adopté l'argumentation du secteur immobilier. «Selon la Constitution, nous avons un loyer basé sur les coûts et non sur le marché», explique Natalie Imboden. Malgré cela, les locataires auraient versé chaque année aux propriétaires immobiliers des loyers élevés de manière inadmissible pendant les années où le taux d'intérêt de référence était en baisse constante, et cela à hauteur de milliards:
Le conseiller national Olivier Feller (PLR/VD), secrétaire général de la Fédération romande de l'immobilier, ne souhaite pas commenter le jugement «par respect pour la séparation des pouvoirs». «La référence à mon intervention n'est qu'un élément d'une argumentation longue et minutieusement exposée», se contente-t-il de dire. Le tribunal a décidé de son propre chef d'adapter la jurisprudence en vigueur depuis 35 ans à l'évolution des circonstances:
Il s'agit maintenant de respecter son jugement... En revanche, bien qu'ils soient aux antipodes l'un de l'autre sur la politique des loyers, Natalie Imboden et Olivier Feller s'accordent d'accord sur une autre question: il serait souhaitable que la composition des différentes cours du Tribunal fédéral soit plus équilibrée du point de vue des partis politiques. Certaines cours ont aussi un penchant gauche-vert.