Ici, on compte les années en dizaines (parce que le temps dure longtemps) et les habitants en centaines (parce qu’il n’y en a pas beaucoup). Pomme de pin dans les draps confédéraux, la Question jurassienne n’en finit pas de piquer les pieds. Elle devait être terminée le 28 mars, le jour où Moutier a décidé de quitter le canton de Berne pour rejoindre le canton du Jura. Voilà qu'elle rebondit à Belprahon, l’un des sept villages attenant à la cité prévôtoise (l’adjectif pour Moutier). Eux sont restés bernois, tels des nains privés de leur Blanche-Neige.
Dans une lettre adressée le 21 mai au gouvernement bernois, les autorités de Belprahon, 300 habitants, annoncent, la bouche en cœur, la «répétition», le 27 juin, d’un vote sur l’appartenance cantonale de la localité. Et bing! Pour tout dire, c’était dans l’air.
En un mot comme en cent, Belprahon, où plusieurs votes d’autodétermination ont déjà eu lieu (toujours serrés et jamais en faveur du canton du Jura) ne veut pas rester dans le canton de Berne, à présent que Moutier a pris la direction du Nord, celle de la République jurassienne. Berne empêchera-t-il le vote d'avoir lieu? Le conseil communal étant pour, la population devrait suivre son avis. Et la Question jurassienne serait alors relancée, en tout cas symboliquement.
«C’est un vote sauvage», réagit Virginie Heyer, une antiséparatiste, présidente du Conseil du Jura bernois (CJB) et maire de Perrefitte, l’une des communes satellites de Moutier. «C’est dommage, Moutier parti, on pensait en avoir fini avec tout ça», dit-elle, jointe par watson. Le CJB juge illégal le scrutin prévu le 27 juin à Belprahon. «Tant le canton de Berne que celui du Jura ont déclaré la Question jurassienne terminée au soir du vote prévôtois», rappelle celle qui vise un siège au gouvernement bernois en 2026 (pour 2022, la place est déjà prise).
Les séparatistes se gaussent de la situation, sur le mode: «On vous avait prévenus.» Le canton du Jura, lui, reste sur une ligne légaliste. La venue de Belprahon dans son giron n’est pas au programme. Mais il assiste au spectacle.
Un «oui» le 27 juin créerait à nouveau une situation inconfortable pour le canton de Berne. La crainte de ce dernier est que se reforme un foyer de séparatisme à ses marges septentrionales, obligeant la Confédération à intervenir une fois encore dans un dossier qu’elle connaît bien.
Virginie Heyer ne veut pas croire à un effet domino sur les autres localités entourant Moutier en cas de majorité séparatiste à Belprahon. «Vous savez, à part cette commune-là, les six autres sont clairement antiséparatistes», assure-t-elle.
«Madame Heyer a raison, mais elle oublie d’ajouter une chose: ces communes sont antiséparatistes, pour l’instant», réplique le chef des séparatistes, Pierre-André Comte, secrétaire général du Mouvement autonomiste jurassien et rédacteur en chef du Jura Libre. Dans sa prochaine édition du 4 juin, l’organe du combat jurassien s’en tient à sa grille d'analyse de toujours: l’annexion du Jura à Berne en 1815 a été une «erreur historique».