C'est ce qu'on appelle un événement.
Le rappeur Booba, pourchassé par des médias français désireux de le confronter à ses propos polémiques sur la pandémie de Covid et ses vaccins, a été interviewé par un tout frais média romand, baptisé Le Flow. Le Duc du hip-hop, le spécialiste du clash, le businessman français exilé fiscalement à Miami ou encore la bête noire des influenceurs est un artiste qui sait mieux que personne faire fructifier l'actualité. Jusqu'à déraper lorsqu'il décide de partager la dernière théorie du professeur Didier Raoult, selon laquelle le vaccin contre le Covid-19 transmettrait la maladie dite de la vache folle.
Voilà pour le contexte.
Le Flow? C'est le dernier bébé du journaliste et créateur de contenu Arnaud Delacroix. Passé notamment par Canal+ et 20 Minutes, ce jeune Français installé en Suisse depuis trois ans cherchait à offrir une nouvelle vie à sa chaîne YouTube spécialisée dans le hip-hop, lancée il y a dix ans à Paris: «Après un tournage et quelques verres dans un bar de Barcelone avec la future chargée de production du Flow, j'ai compris qu'il y avait une place à prendre en Suisse romande pour y installer un média spécialisé dans la culture urbaine». Malgré son expérience dans le milieu et les premières connexions qui se créent naturellement, encore fallait-il financer ce bazar. Ce sera chose faite en allant toquer à la porte de la marque préférée des Suisses.
Profitant de la venue à Genève de Booba, le 27 janvier dernier, dans le cadre du Beat Festival, Arnaud Delacroix saute sur l'occasion et parvient à arracher quinze minutes d'interview avec le rappeur français qui vient de catapulter, par surprise, son nouvel album Ad Vitam Æternam.
Une chance qui a de quoi rendre jaloux quelques confrères, mais qui draine forcément aussi son petit lot d'emmerdes. Faut-il lui parler de ses récents propos sur le Covid qui suscitent toujours la polémique en France? Comment lui en parler? A quel moment? Mardi, à 14h00 pétantes, l'entretien est enfin publié sur la page YouTube de ce nouveau média. Et sa théorie sur les vaccins sera évoquée, disons, plutôt brièvement.
La question d'Arnaud Delacroix est la suivante: «Le deuxième sujet est sur les réseaux, encore. Ça parle du vaccin. Ça parle du vaccin anti-Covid et ça t'a permis de te faire de nouveaux copains, j'ai l'impression. Il y a Julien Pain, journaliste qui checke les fake-news. Vous avez eu des échanges assez houleux sur X, à propos justement des effets secondaires de ce vaccin. Aujourd'hui, là, on en est où?»
Le sujet sera rangé aussi vite qu'il a été dégoupillé. Aucune relance sur ces déclarations qui flirtent allègrement avec les théories véhiculées par les mouvements antivax. Rien, non plus, sur ses attaques incessantes à l'encontre d'un autre spécialiste de la désinformation, Tristan Mendès France, et surtout les allusions répétées à son nez, qui est un stéréotype antisémite. Lorsque nous avions contacté Tristan Mendès France par téléphone, il nous avait confié ne pas vouloir porter plainte, ses tweets étant trop «allusifs» pour être en mesure «d'apporter la preuve irréfutable de son caractère antisémite».
Pourquoi Arnaud Delacroix a-t-il choisi de ne pas confronter le rappeur sur ses déclarations? «Le mot d’ordre du Flow, c’est "le média urbain qui te met bien". Tout le monde doit passer un bon moment, parce que c'est une émission de divertissement.»
Booba a-t-il interdit certains sujets en amont? A-t-il eu un droit de regard sur le produit final? Le fondateur du Flow nous assure que non. «Il ne nous a pas demandé d’éviter certains sujets ou de couper dans le montage.»
Arnaud Delacroix précise également que c'est avant tout «l’artiste, le monstre de la musique» qu'il voulait inviter: «Pour moi, Booba c’est l’équivalent de Michael Jordan. Comme je le dis dans l’interview: on a inauguré notre média avec le boss de fin».
Contactée par téléphone, Migros confirme être le «sponsor exclusif» du média Le Flow. Que l'on se promène sur le site ou en lançant l'interview de Booba, il n'y a effectivement pas photo: le «M» orange est littéralement partout. L'émission est «présentée par Migros» et des bouteilles de thé froid trônent en bonne place entre les jambes des protagonistes.
Cyril Fayet, responsable marketing digital et réseaux sociaux chez Migros Vaud, nous explique avoir été «immédiatement séduit» par le projet: «Etant donné que Migros s’intéresse depuis quelques années à la culture urbaine et au hip-hop, notamment par l’intermédiaire de notre collaboration avec l’artiste Sébastien Strappazzon, nous avons décidé de soutenir Le Flow avec plaisir». Voilà pour la genèse de cette collaboration. Mais qu'en est-il de la présence du sulfureux rappeur?
Quoiqu'il en soit, pour Arnaud Delacroix, c'est le début d'un marathon. La présence d'une star comme Booba pour la première émission, ça permet de braquer une lumière crue sur le projet, mais peut aussi mettre une certaine pression. Avec le risque que le soufflé retombe dès le deuxième interview?
Arnaud évoque ici les réseaux sociaux d'un côté, des diffuseurs TV et radio de l'autre (la chaîne romande Carac 1 et les ondes d’URBN), sans oublier une collaboration avec 20 Minutes pour des extraits d'interviews. L'arrangement financier entre ces différents partenaires restera secret.
L'objectif réaliste? «Que ça fonctionne suffisamment bien pour imaginer une deuxième saison!»
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