«Le monde se trouve à un tournant démographique surprenant», s'alarme ce lundi le Wall Street Journal. En cause: le nombre de naissances est en chute libre. Et ce, «presque partout». Un «effondrement» beaucoup plus rapide et généralisé que prévu, qui risque d'avoir de profondes répercussions au niveau économique, social et géopolitique, prévient le quotidien américain.
La preuve en est que le taux de fécondité mondial, indice représentant le nombre moyen d'enfants par femme, sera bientôt trop faible pour permettre à la population de se renouveler de manière naturelle. Pour ce faire, le taux ne doit pas descendre au-dessous de 2,2 (2,1 dans les pays développés).
En 2017, le taux de fécondité mondial se montait à 2,5 enfants par femme. A l'époque, les Nations unies estimaient qu'il allait atteindre 2,4 à la fin des années 2020. Pourtant, en 2021 déjà, il n'était que de 2,3. Selon des estimations formulées par le Wall Street Journal, il pourrait désormais être inférieur à 2,2.
C'est notamment le cas en Suisse, où le taux de fécondité est passé au-dessous de ce seuil à la fin des années 1960, et se situe actuellement à 1,3 enfant par femme. «Dans notre pays, les couples ont de moins en moins d'enfants», confirme Philippe Wanner, démographe à l'Université de Genève. «C'est une situation de pénurie».
Le spécialiste rappelle pourtant que le taux de 2,1 est «une limite théorique», car elle ne tient pas compte de la migration.
La migration permet donc de combler le déclin des naissances. Cette situation ne va toutefois pas durer éternellement, prédit le démographe. «La Suisse arrive actuellement à attirer beaucoup d'étrangers parce qu'elle privilégie une migration de proximité et offre des salaires élevés, mais ce flux migratoire risque de se tarir», explique-t-il. La cause en est que nos voisins «se trouvent dans une situation démographique plus avancée que la nôtre», poursuit Philippe Wanner. «Leur population a déjà commencé à décliner, leur solde naturel est négatif, ce qui fait que le nombre d'emplois disponibles augmente».
Le danger de déclin démographique en Suisse est donc réel, estime Philippe Wanner. «Pour l'instant, la population helvétique continue d'augmenter. Ce sera encore le cas à court terme, mais les choses devraient changer à partir de 2035-2040», développe-t-il.
Les conséquences d'un tel scénario ne sont pas à sous-estimer. «Le déclin démographique se traduit d'abord par une pénurie de main-d'œuvre», explique Philippe Wanner. «Comme la population diminue, moins de jeunes intègrent le marché du travail. A un moment donné, ces derniers n'arriveront plus à remplacer les travailleurs âgés qui partent à la retraite». Et le démographe de rappeler que les retraités «vont continuer de vivre et de consommer pendant de nombreuses années encore».
Résultat: «Une paupérisation de la population. La hausse du nombre de retraités fait augmenter les charges sociales, ainsi que les cotisations chez les actifs». De plus, «cette situation entraîne également une baisse de la croissance, les travailleurs n'arrivant plus à produire suffisamment».
Dans de nombreux pays, les autorités considèrent qu'il s'agit d'une question d'urgence nationale. Dernier exemple en date, le plan de «réarmement démographique» annoncé fin janvier par Emmanuel Macron pour lutter contre la baisse de la natalité en France.
Plusieurs gouvernements ont mis en place des programmes similaires. Jusqu'à présent, ils n'ont pas réussi à faire bouger les choses, rappelle le Wall Street Journal. «Ces expériences montrent qu'il est très difficile de faire évoluer la fécondité, et que les politiques natalistes très généreuses ne marchent pas», confirme Philippe Wanner.
Rien de tel n'a été tenté en Suisse. Et pour cause. «Chez nous, on considère que la famille est une question privée, et que l'Etat ne doit pas s'immiscer avec les comportements reproductifs de la population», explique le démographe. «Pour cette raison, les autorités helvétiques ne mènent pas une politique de fécondité ayant comme objectif clair de faire augmenter le nombre d'enfants».
Si offrir de l'argent ne suffit pas, Philippe Wanner estime que créer un environnement favorable aux familles pourrait être plus efficace. Y compris en Suisse: «L'Etat et les entreprises pourraient intervenir à ce niveau: faciliter la conciliation entre activités professionnelles et familiales, proposer une politique fiscale avantageuse, offrir des réductions sur le prix des transports publics, étoffer l'accès aux crèches», énumère-t-il. Autant d'écueils qui contribuent à expliquer la baisse de la natalité, selon le démographe.
Pour résumer, Philippe Wanner invite à «remettre l'enfant à la place qu'il mérite au sein de la société». Il y a urgence: «Quand la natalité est en baisse, il est difficile de rétablir une situation d'équilibre», conclut-il.