Suisse
Analyse

PS: La gauche suisse face au gouffre de l'antisémitisme

Le président du Parti socialiste vaudois, Romain Pilloud et Pierre-Yves Maillard face à l'antisémitisme.
Le président du Parti socialiste vaudois, Romain Pilloud. Une caricature antisémite issue de X (ex-Twitter).Image: keystone/watson
Analyse

Antisémitisme: la gauche suisse face à ses responsabilités

watson a découvert un autre tweet antisémite liké par des militants de gauche romands. Romain Pilloud, président du PS Vaud, et Pierre-Yves Maillard prennent position sur les likes qui valent une procédure disciplinaire au conseiller communal lausannois Mountazar Jaffar.
16.05.2024, 19:0618.05.2024, 08:59
Plus de «Suisse»

Encore un tweet antisémite, partagé début mai par un socialiste romand et liké par des membres du PS et du nouvellement créé Parti communiste révolutionnaire (PCR). Le tweet en question est une caricature convoquant des clichés antisémites dans leur expression islamiste.👇

Que raconte ce dessin, tweeté par un compte attribuant aux «sionistes» l'assassinat en 1963 à Dallas du président Kennedy et saluant le grand mufti de Jérusalem qui avait collaboré avec Hitler? Il raconte ceci:

Un Américain portant une croix chrétienne demande à un musulman et à un juif: «Que pensez-vous de Jésus-Christ?» Le musulman, la tête ceinte d’un turban vert pareil à celui du Hamas, portant inscription de la profession de foi en islam, répond: «C’est un prophète de Dieu». Alors que le juif, reconnaissable à sa kipa, crache et rit «à s’en taper le cul par terre» (la signification de l’anagramme placée au-dessus de sa tête). L’Américain chrétien et le juif s’en vont ensemble, le premier disant au second: «Allons te construire un Etat peuplé d’une seule ethnie», lequel répond: «Ok lol».

«Peuple déicide»

En quoi cette caricature, qui recoupe au passage le vieil antisémitisme européen, est-elle antisémite? Elle présente le juif comme un être vil, mu par l’intérêt. Ensuite, elle renvoie le peuple juif à l’état dans lequel le christianisme l’a longtemps tenu, celui de peuple déicide. Dans la vision musulmane, à l’état de peuple n’ayant pas reconnu en Jésus-Christ un prophète, ni plus tard en Mahomet le messager d’Allah.

Sur un plan plus politique, ce dessin dénie toute légitimité historique à l’Etat d’Israël, réduit à une entreprise raciste, et dépeint l’Arabe musulman comme le seul occupant légitime aux yeux de Dieu de la terre de Palestine, la profession de foi – «Il n’y a de Dieu que Dieu et Mohamed est son prophète» – faisant foi si l’on peut dire.

Soral et Dieudonné: les influenceurs

Il y a dans cette caricature 20 ans des diatribes antisémites de Soral et Dieudonné, qui n’ont cessé de désigner les Etats-Unis et leur «allié» Israël comme les agents de l’immoralité gouvernant le monde. Le duo, ami du régime islamiste iranien, a essaimé plus à gauche qu’à droite, où le job avait déjà été fait. Fin 2023, le député de La France insoumise David Guiraud a reconnu, non sans courage, être venu à l’«antisionisme» par Soral et Dieudonné.

Cette vision selon laquelle le «lobby sioniste» contrôle les affaires du monde, imprègne l'un des tweets likés par le conseiller communal socialiste lausannois Mountazar Jaffar, dont Le Matin Dimanche, repris par 24 Heures, a fait état dans son édition du 12 mai. On y voit le drapeau français floqué de l’étoile de David flotter sur le palais de l’Elysée. L’hebdomadaire dominical rend compte de deux autres tweets gratifiés d'un like par l’élu PS: l’un dans lequel le guide suprême iranien, l’ayatollah Khamenei, se félicite des «signes de victoire du front de la résistance» à Israël, l’autre étant de nature complotiste, à savoir antivax, prorusse et anti-Israël, un combo prisé par le duo Soral et Dieudonné et bien d’autres.

Trois tweets likés par Mountazar Jaffar.
Trois tweets likés par Mountazar Jaffar. source: 24 Heures

Leur main n'a pas tremblé

La main des responsables des PS vaudois et lausannois, respectivement Romain Pilloud et Sarah Neumann, n’a pas tremblé. Dans un communiqué conjoint indiquant qu’une procédure disciplinaire est engagée contre Mountazar Jaffar suite à la révélation de ses «like», ils n’éludent rien. Rappelant la responsabilité du gouvernement israélien dans la guerre meurtrière menée à Gaza, ils écrivent:

«Aucun propos ou acte antisémite ne sont tolérables et le PS les condamne avec la plus grande fermeté»
Le communiqué des PSV et PSL

De même ne tolèrent-ils aucun soutien au Hamas ou au «régime islamiste iranien».

Le président du PS vaudois n’a pas la tâche facile. Il sait que plusieurs courants cohabitent au sein de sa section, comme dans d’autres sections socialistes en Suisse. On y trouve les universalistes laïques, critiques face à Israël mais attachés à l'existence de l'Etat hébreu, et les décoloniaux identitaires, où l’antisionisme peut prendre à l’occasion des accents antisémites. En France, les décoloniaux identitaires sont encartés à La France insoumise ou chez les Verts, bien peu au PS.

Joint par watson, Romain Pilloud le reconnaît:

«Ce serait naïf de ma part de dire qu’il n’y a pas d’antisémitisme à gauche, comme dans d'autres partis»
Romain Pilloud

«De tels clichés sur les juifs n’ont pas leur place dans une autre catégorie que celle de l’antisémitisme», dit-il à propos du tweet évoqué en début d’article, montrant un Américain, un juif et un musulman – le socialiste romand qui l'avait retweeté l'a depuis effacé.

La réputation des socialistes est en jeu

Deux des personnes qui l’avaient liké, l’une du PS, l’autre du PCR, nous disent n’en avoir pas perçu la dimension antisémite et assurent que l’antisémitisme, là non plus, n’a pas sa place dans leurs partis respectifs. Dans ce cas, pourquoi avoir déposé un like?

«Pour nous, reprend Romain Pilloud, il n’était pas question de ne pas agir suite aux like de Mountazar Jaffar, sur le mode de "circulez, il n’y a rien à voir" ou de "qui ne dit mot consent".» La réputation des socialistes est en jeu. Ils ne peuvent pas prêter le flanc à des accusation de laxisme face à des soupçons d'antisémitisme ou de quelque racisme que ce soit.

Entendu une première fois par les instances du PSV et du PSL, «Mountazar Jaffar a affirmé qu’il n’avait aucunement l’intention de soutenir le régime iranien ou la destruction d’Israël. Il a par ailleurs réitéré son opposition à toute forme de régime dictatorial et reconnaît que ces "like" étaient une erreur», relate le communiqué conjoint. En d'autres occasions, Mountazar Jaffar a dit condamner l'antisémitisme.

Maillard: «Je ne comprends pas qu'on like un tel tweet»

Joint par watson, l'ancien conseiller d'Etat vaudois Pierre-Yves Maillard, aujourd'hui président de l'Union syndicale suisse (USS), salue le fait que le PSV et le PSL prennent l’affaire au sérieux. Il poursuit:

«J’ajouterai une chose comme socialiste et comme humaniste en général: l’un des pires régimes me paraît être le régime iranien. Il fait subir un apartheid sévère à la moitié de sa population, les femmes, et fait tirer sur son peuple. J’ai du mal à comprendre qu’on puisse liker un tweet de celui qui fait endurer cela à sa population. Je réitère par ailleurs ma condamnation du gouvernement d’extrême droite israélien qui mène une guerre sans égard pour les civils à Gaza.»
Pierre-Yves Maillard, président de l'USS

Quelle sera la décision des instances du PS vaudois concernant Mountazar Jaffar? Le conseiller communal sera soit blanchi d'intentions malveillantes, soit blâmé, soit exclu du parti.

ChatGPT: Quand la réalité dépasse la fiction
Video: watson
Ceci pourrait également vous intéresser:
4 Commentaires
Comme nous voulons continuer à modérer personnellement les débats de commentaires, nous sommes obligés de fermer la fonction de commentaire 72 heures après la publication d’un article. Merci de votre compréhension!
4
Ce changement aux frontières de l'espace Schengen concerne aussi la Suisse
Les passages de frontière vers l'espace Schengen vont être enregistrés numériquement dès cet automne. La Commission européenne a fixé la date de lancement du système d'entrée et de sortie au 12 octobre. En Suisse, ce système sera mis en place dans les aéroports.
Le système d'entrée/sortie (Entry/Exit System ESS) doit permettre d'enregistrer numériquement les données de voyageurs en provenance de pays tiers lors de leur entrée, de leur transit ou de leur sortie de l'espace Schengen a indiqué la Commission européenne mercredi.
L’article