Là-haut, aux Bugnenets-Savagnières, dans le massif du Chasseral, on a pris les devants. L’entreprise de remontées mécaniques – huit téléskis – a lancé une pétition pour alerter sur un projet d’extension d’une réserve naturelle qui «pourrait être fatal à la station». Mise en ligne dans la journée de mardi, accompagnée d’un communiqué de presse, elle a donné lieu le soir même à un article dans ArcInfo. On n’est certes pas à Verbier, mais on n’est pas non plus chez n’importe qui.
Là-haut, où les cantons de Berne et Neuchâtel jouent à touche-touche, Les Savagnières d’un côté, Les Bugnenets de l’autre, un nom de famille ressort: Cuche. Cuche comme Didier, le recordman de victoires sur la Streif, aperçu le week-end dernier à Kitzbühel, où son neveu Rémi, skieur lui aussi, s’est blessé au genou lors d’une descente d’entraînement.
Mais laissons le Tyrol et revenons dans ce coin montagneux du Jura, où l’on s’inquiète de ce que trame le Service neuchâtelois de la faune, des forêts et de la nature. Les auteurs de la pétition écrivent que le canton de Neuchâtel prévoit d’agrandir l’actuelle réserve naturelle dite de la Combe-Biosse. Selon eux, cet élargissement mettrait en péril une partie des installations dédiées à la pratique du ski alpin.
«Le domaine skiable occupe une partie des pentes de la Combe-Biosse, côté Bugnenets. En termes d’installations et pour imager la situation, cela représente 3,5 téléskis sur 8, les 4,5 autres se trouvant côté Savagnières, sur la partie bernoise, non concernée par le projet du canton de Neuchâtel», relate Pierre Cuche, membre du conseil d’administration des remontées «Bugnenets-Savagnières» et «lointain cousin» de la légende locale.
Quel est le problème? Les pétitionnaires craignent qu’un classement en zone naturelle protégée empêche tout développement du domaine skiable situé en territoire neuchâtelois.
A 1400 mètres, l’altitude maximum de la station des Bugnenets-Savagnières, la neige se fait toujours plus rare, changement climatique oblige. D’où le projet «4 saisons» pensé par l’entreprise de remontées mécaniques. Au lieu de fonctionner épisodiquement l’hiver, celles-ci seraient mises à contribution toute l’année, pour la pratique du VTT, hors périodes de ski.
Ce développement «4 saisons» supposerait l’aménagement de sentiers réservés au VTTistes. Chose a priori impensable et impossible dans une réserve naturelle.
Sommes-nous dans le cas de figure d’une activité humaine nocive pour la nature? Pierre Cuche ne le croit pas. «Ici, tout le monde est respectueux de la nature, personne ne songe à faire du mal à la faune et à la flore, mais l’activité humaine a aussi sa place dans le cadre naturel, dans une partie de celui-ci seulement. Vous savez, les vaches qui paissent sur les flancs du Chasseral, dérangent, à leur manière, la petite faune», répond-il.
«C’est toute une branche économique et sportive qui risque de disparaître, si la zone classée en réserve naturelle devait s’étendre», enchaîne Jérôme Ducommun, responsable du secteur alpin dans l’association Giron jurassien, dont le grand Didier Cuche est le président. «Giron jurassien regroupe une trentaine de clubs de ski alpin et de ski nordique des cantons de Neuchâtel, du Jura et de Berne, c’est-à-dire le Jura bernois», précise Jérôme Ducommun, qui soutient la pétition.
Environ 60 000 personnes emprunteraient chaque année les remontées de la station berno-neuchâteloise.
L’affaire prend un tour politique. C’est le but affiché par Pierre Cuche et les pétitionnaires:
L'élu Vert Roby Tschopp est responsable de l’aménagement du territoire, du tourisme, du développement économique et des mobilités à l’exécutif de la commune de Val-de-Ruz, dont Les Bugnenets font partie. «Nous sommes au courant du périmètre de l’extension de la réserve naturelle de la Combe-Biosse, mais nous ne connaissons pas encore les règles qui devront s’y appliquer», déclare Roby Tschopp. «Il y a un intérêt à maintenir les installations sportives aux Bugnenets. Il ne faudrait pas qu’elles soient étouffées dans la précipitation. L’avenir climatique dira si le maintien de toutes se justifie, ne serait-ce que d’un point de vue économique», considère l'élu écologiste.
Le Grand Conseil neuchâtelois s’est saisi de la polémique. Face à l’inquiétude d’une partie des députés, le conseiller d'Etat en charge du développement territorial, Laurent Favre, a tenu à rassurer sur le «projet» d’extension de la réserve naturelle de la Combe-Biosse. «C'est plutôt un avant-avant-projet», a-t-il dit. «Le Conseil d'Etat, a-t-il ajouté, n'a aucune intention de remettre en question la pratique des sports d'hiver et d'été.» De son côté, le Service cantonal de la faune, des forêts et de la nature n'était pas disponible mercredi pour répondre aux questions de watson.
On dirait que le coup de pression des «montagnards» a eu l’effet escompté. Le héros Didier Cuche n’a, qui sait, même pas eu besoin de passer un coup de fil.