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Les néonazis suisses reprennent du poil de la bête

Les néonazis suisses reprennent du poil de la bête

Depuis l’attaque terroriste du Hamas, l'extrême droite surfe sur une nouvelle vague antisémite en Suisse aussi. Des militants appellent à la violence, nient l’Holocauste et propagent la haine contre les Juifs et les non-Blancs.
25.02.2024, 18:5926.02.2024, 08:36
Kurt Pelda / ch media
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Il est effrayant de voir à quel point l'antisémitisme rampant devient de plus en plus visible dans notre société. Cela ne concerne pas seulement les islamistes et les extrémistes de gauche, mais aussi les néonazis. La haine propagée par les fans suisses d’Hitler s'accentue depuis le 7 octobre 2023. Les militants d'extrême droite gagnent en popularité sur les réseaux sociaux.

Alors qu'Instagram ne cesse de supprimer des comptes néonazis, en Suisse, les fanatiques haineux crachent librement leur venin sur Telegram. Ils se moquent des victimes de l’Holocauste et prennent position contre les Juifs et les personnes de couleur. La justice n'a pas l'air de s'en inquiéter, quand bien même les actes racistes constituent une violation du droit pénal et devraient faire l'objet de poursuites d'office.

Les fanatiques suisses haineux distillent généralement leur venin sur Telegram sans être dérangés.
Les néonazis suisses distillent leur venin sur Telegram.Image: Raphael Rohner

Tuer les Juifs et les dissidents

Il y a par exemple Kevin S., 30 ans, dont la chaîne Telegram comptait encore 2000 abonnés fin septembre 2023. La machine s'est véritablement emballée après l'attaque du Hamas en octobre. En très peu de temps, le nombre d'abonnés du jeune homme est grimpé à plus de 3200, soit une hausse de 60%. Mais Telegram a ensuite liquidé son canal et Kevin S. a dû repartir de zéro. Il rassemble aujourd'hui plus de 1800 abonnés et ce chiffre ne cesse d’augmenter.

On peut compter sur Kevin S. pour diffuser activement sa vision du monde, et pas seulement via Telegram. Sur Instagram, il a publié le mème d'un homme debout avec un pistolet menaçant par derrière un Juif agenouillé. Avec cette phrase: «Tuez votre anti-blanc local». Il s’agissait d’un appel au meurtre des Juifs et d’autres personnes que les néonazis considèrent comme des ennemis de la «race blanche». Ce post n'était pas le seul: on trouvait également des messages comme «les Juifs, dehors!» ou «Rasons Israël». Enfin, une autre photo montre une potence légendée comme étant un «dispositif d’évacuation des demandeurs d’asile». Le compte, baptisé «Kinderzimmerterrorist» (réd: terroriste de bac à sable), a entre temps été effacé.

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Sur Telegram, le Lucernois fait parfois des allusions subtiles au groupe terroriste américain Atom Waffen Division ou à l'Australien Brenton Tarrant. Celui-ci avait assassiné 51 personnes lors d'une attaque contre deux mosquées en Nouvelle-Zélande en 2019.

Le Zyklon B et le «mensonge d’Auschwitz»

A côté de son «hobby» politique, Kevin S. s'est lancé comme DJ en Suisse centrale. Il partage ses archives privées composées de dizaines de milliers de chansons extrémistes sur une chaîne Telegram distincte dotée d'environ 6000 abonnés. Parmi la vaste sélection, on peut écouter: «Jud, du hast das Land gestohlen» («Juif, tu as volé le pays») et «Zyklon B». Les traditionnelles pirouettes intellectuelles néonazies ressurgissent alors. Alors que, d'un côté, on nie l’Holocauste, de l’autre, on célèbre le fameux gaz toxique utilisé à Auschwitz.

Kevin S. a le mot «haine» tatoué sur son tibia gauche, avec le double S (réd: du mot allemand «Hass») tracé comme le symbole des SS. Dans la vision du monde du trentenaire, le métissage conduit à l'extinction de la race. C’est, selon lui, exactement l’intention des «gouvernements d’occupation sionistes» qui voulaient en finir avec les Blancs par une migration de masse, écrit Kevin S. sur Telegram. Il décrit les Juifs comme des rats et, pour lui, l’Holocauste est un «holohoax», le mot anglais «hoax» pouvant être traduit par tromperie, canular ou plaisanterie.

Le militant a par ailleurs rédigé un pamphlet de quinze pages sur le prétendu «mensonge d'Auschwitz» et réalisé une vidéo intitulée «Un enfant à Auschwitz». Elle montre des bambins heureux dans les camps de concentration allemands, des spectacles de marionnettes et des spectacles de danse, entre autres. Avec un cynisme inégalé, des images des piscines d'Auschwitz, Treblinka et Mauthausen apparaissent ensuite pour prouver que les prisonniers des camps de concentration auraient soi-disant dû s'y plaire. Non seulement la vidéo nie l’Holocauste, mais elle humilie également des millions de victimes des camps de concentration et d’extermination.

Orgie de violence dans la mosquée

Kevin S. a été photographié avec un de ses collègues néonazis lors d'un événement de l'UDC en Suisse centrale. Au milieu du cliché, une politicienne de Lucerne sourit et pose ses mains d'un air maternel sur les épaules des deux hommes. Interrogée, elle explique qu'il s'agit d'une photo fortuite lors d'un événement public. Les deux jeunes hommes semblaient un peu perdus, elle aurait alors pris la pose avec eux. Mais elle ne les connaît pas et depuis, et ne les aurait plus jamais revus à des événements du parti depuis. Elle a néanmoins partagé la photo sur son profil Facebook, avant que celle-ci ne soit supprimée.

Le deuxième néonazi de la photo s'appelle Yanik L.. Il a 26 ans et vit dans le canton de Bâle-Campagne. Il est également actif sur les réseaux sociaux, mais contrairement à Kevin S., il anime un groupe de discussion sur Telegram avec un peu plus d'une vingtaine de membres triés sur le volet. Les contributions dans ce petit cercle envoient du lourd. Les membres du groupe nient l’Holocauste et dénigrent les Juifs en les qualifiant de «Lausebärte» (réd: «barbes pouilleuses») ou de «Knollen » (réd: «renflés»).

Yanik L. a lui aussi relayé la vidéo du meurtre du terroriste australien Brenton Tarrant. On le voit prenant d’assaut une mosquée à Christchurch, en Nouvelle-Zélande, et tirant de sang-froid sur de nombreux musulmans. La vidéo est-elle destinée à servir de modèle pour une attaque dans notre pays? Pourquoi propager une telle orgie de violence? Quoi qu'il en soit, Yanik L. semble lui-même violent. Dans une autre séquence, on le voit battre brutalement un jeune homme à terre à Liestal (BL).

Peur d’une «domination mondiale»

Le jeune homme de 26 ans travaille comme artisan. Un drapeau du Parti des Suisse nationalistes (PNOS), aujourd'hui dissous, flotte chez lui. Le troisième néonazi de la bande, Sandro R., en était membre, avant de basculer vers un national-socialisme de plus en plus ésotérique et glorifié.

Partei national orientierter Schweizer.
Le logotype officiel du parti.Image: wikimedia

Il semble que la fin du PNOS, il y a deux ans, ait laissé un vide sur la scène néonazie alémanique. Un vide que les trois combattants isolés tentent de combler. Sandro R. a en effet décrit sa propagande comme une «chaîne de l’Ordre des Justes Solitaires». C'est plein de croix gammées et de crânes SS. Sandro R. y dépeint les Juifs comme des profiteurs et des commerçants au nez crochu: il en va, selon lui, du choix entre la domination juive du monde et la «survie créatrice de la race aryenne aujourd'hui et demain». A son apogée, la chaîne rassemblait plus de 3000 abonnés.

Est-il conscient de diffuser du contenu criminel? Sandro R. répond par l'affirmative. Mais en fin de compte, il faut que la vérité éclate. Est-il antisémite? Il affirme ne pas être fondamentalement contre les juifs. Le jeune homme a travaillé pendant deux ans dans le quartier de Wiedikon à Zurich, et a fait des affaires avec de nombreux juifs:

«Peu importe la religion. Ce que je ne tolère pas, en revanche, ce sont les machinations qui contribuent à la mort de mes compatriotes. La plupart du temps, les Juifs de Wiedikon répondent à tous les clichés».

Conseiller national PS dans le viseur

Sandro R. n'est pas violent. Alors qu'il était encore au PNOS, il a eu vent d'une demande de travaux au domicile du conseiller national et membre du parti socialiste, Fabian Molina, à Zurich. La requête s'accompagnait d'un numéro de téléphone portable. Sandro R. en a immédiatement informé ses compagnons et ils ont hésité à révéler ces informations personnelles.

Il n’y a finalement pas eu d'appel à la violence contre l'élu. Chargée de protéger les parlementaires fédéraux, Fedpol est intervenue, sans que l'on sache si cela a eu des conséquences pour Sandro R.

Les extrémistes se réorganisent

Tandis que les néo-nazis esseulés se concentrent sur leurs activités sur les réseaux sociaux, d’autres fanatiques non moins radicaux ont choisi une autre voie: ils ont fait renaître une formation des cendres du PNOS. Elle se fait appeler Parti national et préfère pour l'heure rester dans la clandestinité. Cependant, elle a écrit aux anciens membres pour essayer de les recruter. Les personnes intéressées peuvent s'annoncer via une case postale thurgovienne.

nazi commemoration day of honour , Budapest, Hungary UNGARN, 02.2008, Budapest - XIV. Bezirk. Internationaler Neonazi-Aufmarsch auf dem Heldenplatz mit ca. 1000 Teilnehmern zum sog. Tag der Ehre . Ged ...
Le mouvement Blood & Honor est présent dans de nombreux pays, ici en Hongrie en 2008. Image: www.imago-images.de

Derrière ce groupuscule se cache un homme de 59 ans originaire de Suisse centrale, membre du réseau néonazi international Blood & Honor. Dans les années 1980, il s’est notamment fait remarquer lors d’attaques contre des foyers d’asile.

Entre le Parti national et les trois néonazis solitaires, il n'y a pas que des divergences idéologiques, mais aussi une différence d’âge significative. Les membres de la formation appartiennent aux générations qui ont précédé celles des jeunes militants 2.0. Quelle que soit l'opinion à défendre, le droit de former un parti existe en Suisse. En revanche, lorsque les appels au meurtre et à la haine raciste se multiplient, comme dans le cas de ces trois militants d'extrême droite, la justice devrait faire son travail.

(Traduit de l'allemand par Valentine Zenker)

Avec ceux qui vivent les micro-agressions
Video: watson
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