Le premier des innombrables SMS que reçoit le sénateur UDC Werner Salzmann arrive dès 5h37 jeudi matin. «Je suis totalement sur la ligne de Jositsch», lui écrit un collègue. «On a besoin de toi maintenant.»
A ce moment-là, le Bernois ne sait pas encore exactement de quoi il s'agit – il n’a pas lu l’interview de Daniel Jositsch, son homologue socialiste. Dans cet entretien, ce dernier plaide en faveur de son collègue en lien avec l’élection complémentaire au Conseil fédéral pour remplacer Viola Amherd:
Daniel Jositsch a provoqué une réaction avec cette déclaration, admet Salzmann, une fois bien réveillé, lors d’un échange: «Ses propos, selon lesquels il me considère apte à cette fonction, me font évidemment plaisir. Ce poste m’intéresserait aussi.» C’est d’ailleurs ce qui l’avait motivé à se porter candidat au Conseil fédéral en 2022 après la démission d’Ueli Maurer.
Aujourd'hui, le colonel bernois, qui sera président du Conseil des Etats en 2027, affirme sans ambages que le Conseil fédéral n'est plus un sujet pour lui: «Premièrement, je suis d'avis que la formule magique doit être respectée. Deuxièmement, je soutiens le système des tickets des groupes parlementaires. Et troisièmement, je ne me porterait de toute façon plus candidat».
Dans son interview, Daniel Jositsch critique le système d’élection du Conseil fédéral. «Avec la formule magique, le Parlement a mis en place un cartel du pouvoir. Or, cela n’est prévu nulle part dans la Constitution», affirme-t-il. «A cela s’ajoute l’obligation des groupes parlementaires de suivre un ticket.» Par ticket, on entend les noms proposés à l'élection. Il estime que ce système est antidémocratique et que le Parlement ne dispose pas de la liberté de choix qui lui revient selon la Constitution. Une déclaration qui a déclenché un débat.
Le politologue Lukas Golder, co-directeur du prestigieux institut de sondage GfS Berne, partage en partie la critique de l'élu socialiste: «Ce qui me manque avec les tickets, ce sont des critères visibles de sélection», déclare-t-il:
Il souhaiterait ainsi davantage de clarté et de transparence, surtout dans un processus aussi médiatisé que l’élection au Conseil fédéral.
Selon lui, les critères de sélection actuels manquent de lisibilité. «Comme on l’a déjà observé avec les tickets de l’UDC et du PS, on a parfois l’impression qu’il s’agit d’arrangements entre collègues. Cela donne l’impression d’une fausse sélection destinée au Parlement – presque du théâtre amateur.» Pour lui, il est essentiel que les groupes parlementaires sélectionnent réellement les candidats qu’ils estiment être les meilleurs.
L’épisode du remplacement de Viola Amherd a renforcé ce sentiment d’amateurisme. «Le Centre n’a pas donné l’impression d’avoir conçu un ticket structuré et réfléchi», critique Golder:
Le conseiller aux Etats Salzmann partage cet avis. «Lors de l'établissement des tickets, les partis ont quelque peu manqué l'occasion de définir ensemble de manière plus précise quelles compétences non politiques de fond un candidat au Conseil fédéral doit détenir», dit-il: «Par exemple, des compétences de direction, un sens développé de l'organisation, des capacités de médiation et autres».
Les réactions aux déclarations de Jositsch montrent que les groupes parlementaires ne sont toutefois pas prêts à céder du pouvoir. L'UDC ne veut pas revenir à l'an 2000, déclare le chef de groupe Thomas Aeschi. A l'époque, le Parlement avait élu Samuel Schmid au Conseil fédéral pour l’UDC, au détriment de Rita Fuhrer et Roland Eberle, les candidats officiels du parti.
« Les groupes doivent pouvoir soumettre une sélection de candidats à l’Assemblée fédérale, représentant leur parti au gouvernement », souligne Aeschi:
Il estime qu’il serait une erreur que des personnes siégeant au Conseil fédéral ne partagent pas les valeurs fondamentales de leur parti, même si elles en sont membres à l’échelle cantonale. Il annonce également son intention de convaincre le groupe UDC de voter pour un candidat issu du ticket officiel du Centre.
Le Centre, de son côté, reste attaché au système en place. «Depuis plusieurs années, toutes les formations demandent des tickets et que ceux-ci soient respectés», rappelle son chef de groupe, Philipp Bregy. «Le Centre s’y est toujours conformé.» Il rejette la proposition de Daniel Jositsch, qu’il juge trop radicale et inadaptée.
Pour Lukas Golder, toutefois, une surprise n’est pas à exclure. Il va même jusqu’à esquisser un scénario possible : «L’UDC et le PS, bien que polarisés sur le fond, pourraient s’unir contre le ticket du Centre, qui ne satisfait ni l’un ni l’autre, et choisir d’élire Gerhard Pfister, président du Centre.»
Il tempère néanmoins immédiatement cette hypothèse: «Ce scénario est certes totalement fictif et hautement improbable», reconnaît Golder. «Mais le Parlement reste libre dans son choix – et cela, de manière absolue.»
Traduit et adapté de l'allemand par Léa Krejci