«L'homme prévoit, Dieu rit.» L'expression aurait pu être forgée par le Genevois Vincent Schmid, philosophe de formation et pasteur à la retraite – une retraite «active», car l'homme s'est embarqué dans un remplacement à long terme. Contacté par watson, il dit son profond agacement face à la volonté de l'Eglise protestante genevoise (EPG) de «démasculiniser Dieu» – soit de faire en sorte que la manière de faire référence au Tout-Puissant ne véhicule pas d'imaginaire où le croyant se le représente comme un homme.
C'est la Compagnie des pasteurs et des diacres de l'EPG qui a lancé ce chantier, nous a appris l’agence Protestinfo ce lundi. Deux pasteurs, Nicolas Lüthi et Sandrine Landeau, ainsi que le répondant ecclésial de l’EPG pour les questions LGBTIQ+ Adrian Stiefel, ont d'ores et déjà élaboré un document de travail où l'on peut lire que «si l'on se représente [Dieu] de manière figurative, c’est sous la forme d’un homme – de préférence blanc et âgé». Une interprétation plus ou moins inconsciente à laquelle la compagnie entend s'attaquer, en plaidant notamment pour la possibilité de désigner Dieu par d'autres pronoms que «il» – ne serait-ce que par le féminin «elle».
«C'est un débat lunaire qui appartient à des franges radicales et qui est sans doute à mille lieues des préoccupations des fidèles», réagit Vincent Schmid. Avant de glisser:
Pour la coordinatrice de la compagnie, Laurence Mottier, c'est un faux procès: «Nous ne sommes justement pas dans une tour d'ivoire, nous menons une réflexion qui rejoint des préoccupations actuelles de la société».
La «pasteure des pasteurs» explique que tout est parti d'un texte rédigé par une cinquantaine de femmes bénévoles, diacres ou encore pasteures (dont elle) lors de la Grève des femmes de 2019. Des revendications spécifiques adressées à l'EPG visant une plus grande équité au sein de l'Eglise y figurent. Outre une «réflexion théologique sur la représentation de Dieu au-delà du genre», le collectif demande par exemple que «l'écriture épicène soit appliquée dans tous les supports [de l'Eglise]» et que celle-ci «s'engage concrètement sur la question environnementale».
De son côté, Vincent Schmid dit profondément déplorer cette initiative «parce qu'elle participe à la déconstruction de ce qui existe encore de christianisme dans nos sociétés, qui en sont l'héritage». Une démarche qui serait inspirée par la théorie critique et le wokisme venus des Etats-Unis et se retrouvant actuellement dans une partie des sciences sociales. «Nous nous inscrivons dans une démarche de déconstruction des stéréotypes», reconnaît Laurence Mottier, qui trouve par ailleurs normal que cette position engendre des réactions.
Les voix critiques, justement, se font également entendre dans le milieu politique. Pour Bertrand Reich, président du Parti libéral-radical genevois, «on est à peu près au sommet du ridicule avec cette démarche». Mais le protestant de culture ne se dit pas surpris: «C'est dans l'air du temps: cela fait des années que d'aucuns essaient de faire passer ce type d'idées basées sur le genre et une certaine vision de l'égalité».
Sur le fond, le fils de deux parents croyants et pratiquants (lui n'est ni l'un, ni l'autre) estime que c'est un non-sujet. D'après lui, tout le monde sait que «Dieu n'a pas de genre et ne peut pas en avoir: Dieu est tout et Dieu est à l’origine de tout ce qui a suivi le néant». Cette affaire nous amène toutefois à une question importante selon lui:
Sur Facebook, son collègue de parti Jean Romain, député au Grand Conseil qu'il a présidé de 2018 à 2019, s'est, quant à lui, fendu d'une capture d'écran de l'article précité, ainsi légendée «Au gué au gué, Les woke sont partout. La niaiserie aussi!» Avant de préciser sa pensée dans une autre publication: «Longtemps on a parlé du sexe des anges, et cela nous paraît tellement éloigné de l’homme intérieur qui voudrait prier, ressentir une présence, ne plus être seul, que les âmes se vident aussi avec les pitreries du woke!»
On le voit, la problématique interne à l'EPG rejoint des controverses contemporaines plus générales. Progressistes et conservateurs se font face, si l'on caricature. «Il est bien qu'il y ait du débat», estime Laurence Mottier.
Vincent Schmid ne raisonne pas dans les mêmes termes. Pour lui, le grand drame de l'Eglise réformée est de ne plus rien avoir à offrir d'original par rapport aux autres discours. «Du coup, on se raccroche aux derniers chariots des idées à la mode», lance le philosophe. «C'est du pain béni pour les évangéliques! Le prix à payer de ce genre de démarches, c'est de faire le désert autour de soi. Il ne faudra pas oublier d'éteindre la lumière en sortant...»
Au-delà de cette sévère analyse, Bertrand Reich voit dans le projet de l'EPG un mélange des genres:
Selon Laurence Mottier, la proposition qu'elle porte correspond au contraire à ce que disent les textes: «C'est l'Evangile du Christ qui nous convoque, sur le plan des débats de société, à oser une parole qui peut être engagée et même dérangeante». Reste que le dossier, pour l'instant, n'est pas jugé prioritaire par le Consistoire, organe exécutif de l'EPG, nouvellement renouvelé, qui n'a pas encore donné suite. Mais ne dit-on pas que «ce que femme veut, Dieu le veut»? A suivre.