En janvier dernier, un quotidien belge honorait un petit bled helvétique du titre ronflant de «village le plus paradisiaque d'Europe». Nous avons nommé: Lauterbrunnen, 2300 âmes, coincées dans une cuvette au fin fond des Alpes bernoises. Et, accessoirement, ma commune d'origine, inscrite en toutes lettres sur mon passeport.
Après avoir abondamment critiqué (de mémoire) son manque de soleil, ses vaches dépressives et son taux record de décès de parachutistes, il fallait bien retourner sur place. Juste histoire de vérifier si les arcs-en-ciel promulgués par le compte Instagram officiel de Lauterbrunnen n'ont pas fait une apparition surprise entre temps.
Manque de bol, pas de lumière divine pour m'accueillir ce jeudi matin. Pas même une délégation de géraniums déprimés. Juste un crachin vaguement agressif, un mercure bloqué à six degrés et un chauffeur de car postal ronchon.
Quitte à baigner dans l'humidité, autant aller s'enfermer dans une grotte. Direction les légendaires chutes du Trümmelbach, légèrement en retrait du village, à l'assaut desquelles se lancent quelques touristes courageux, armés de gourdes, k-way et baskets de sport.
Il faut reconnaître aux «plus grandes cascades souterraines d'Europe» qu'elles valent le détour (et la montée), et n'ont strictement rien à envier aux cités souterraines des Nains du Seigneur des Anneaux.
Ma mauvaise foi coincée entre les roches abruptes de ce Grand Canyon version bernoise, je reprends la direction du centre du village, plus encline à apprécier les charmes de ma commune d'origine.
Passage obligé par l'église, dont le bout de clocher pointe sur tous les posts Instagram.
Bon... ben ce jour-là, il ne brille pas.
Qui dit église, dit cimetière. Je serais une bien piètre descendante si, en plus de critiquer leur hameau, je n'allais pas saluer mes ancêtres Brunner. Un petit passage entre les tombes me confirme que Lauterbrunnen fût longtemps presque exclusivement constitué de Brunner et de von Allmen. Ce qui expliquera peut-être les tares de l'auteur de cet article.
Force est, en tout cas, de reconnaître que la dernière demeure de mes aïeux dispose d'une vue à couper le souffle.
Sous les parapluies et les capuchons, je croise le regard tantôt morne, tantôt brillant, des nombreux visiteurs venus vadrouiller entre les chalets. Une question en boucle dans mon cerveau de petite Suissesse blasée: franchement, tout ce chemin pour se ramasser la flotte et apercevoir un coin de cascade à moitié invisible derrière les nuages?
A la caisse de la Coop, je soumets mes dilemmes philosophiques à deux jeunes femmes, tout sourire sous le capuchon de leur doudoune. Dans leur caddie se côtoient gruyère en abondance, sandwichs et paquets de nouilles instantanées.
Dans le téléphérique qui me ramène à Mürren, où je passerai la nuit, je fais la connaissance de Lee et Lu, couple d'amoureux arrivé de Chine. Pour eux, pas de «Lauterbrunnen syndrom» qui fasse. «Bien sûr, que c’est magnifique», approuve Lee, qui tient toutefois à préciser avec une petite moue:
Le mot «déçu» ne franchira pas le seuil de leur bouche. De toute façon, ils ne passeront pas la nuit à Lauterbrunnen. Après un stop dans la station de Wengen, Lee et Lu prendront la route en direction de Berne dès le lendemain, dans le cadre de leur tournée européenne.
Alors, le village vendu comme le plus «paradisiaque» d'Europe vaut-il le détour? Si la condition est de parcourir 6000 kilomètres, j'ai envie de répondre que non. Mais après tout, je me suis bien tapé 12 heures de vol pour ne (pas) voir le pont du Golden Gate.
Lauterbrunnen, promis, je reviendrai quand il fait beau. Je ne désespère pas de voir un jour un arc-en-ciel rayonner au-dessus de la terre de mes arrières-arrières-arrières-grands-parents.