«Un endroit magnifique, qu'on pourrait presque qualifier de paradisiaque», «dépaysant» et «féérique», à la nature «rayonnante» et «foisonnante», riche de «cascades», «montagnes à perte de vue» et «maisons pleines de charme».
Non, vous n'êtes pas en train de lire le prologue du Seigneur des Anneaux. Seulement un article lifestyle, très élogieux et peut-être aussi très sponsorisé, du média belge Le Soir. Lundi, nos confrères ont choisi d'accorder le prix du «village le plus paradisiaque d'Europe» à une localité suisse. (Esprit de clocher oblige, ils précisent quand même dans le titre que ledit village se situe «à moins de 3 heures de Bruxelles» - on veut bien faire la promo des voisins, mais faut pas pousser.)
L'heureux vainqueur est minuscule, coincé au fond d'un trou entre deux falaises abruptes, dans le canton de Berne. Son nom ne vous dit peut-être rien: Lauterbrunnen.
Le nouveau titre honorifique et ronflant de ma commune d'origine, qui compte 2300 âmes (et beaucoup, beaucoup de mes bons vieux ancêtres Brunner parmi les tombes), devrait sans doute me flatter. Je me dois cependant de remettre l'église au milieu du village - Lauterbrunnen ou pas.
Vous qui avez peut-être été séduits par le diaporama de prairies verdoyantes, de vaches broutantes et de lacs bleutés, ne vous méprenez pas: Lauterbrunnen est un dangereux leurre touristique.
Tout juste, pourrez-vous visiter son cimetière à parachutistes - il en faut bien, pour rendre hommage aux 80 personnes décédées et/ou disparues depuis vingt ans, dont 4 rien qu'en 2022.
En revanche, n'espérez pas y trouver ni la précieuse neige en hiver (avec une altitude de 800 mètres, vous avez meilleur temps de grimper direct à la Chaux-de-Fonds), ni de rayon de soleil en été (les parois autour du village sont trop hautes). Pas même assez de lumière pour un bon spot à selfies.
Ajoutez-y quelques terrasses tristounettes, une météo capricieuse, des géraniums qui pendouillent, une cascade déprimée/déprimante et un lac de Brienz (à 15 minutes de SUV), vous obtenez un syndrome de Paris en bonne et due forme.
Chers confrères belges. Avant de convaincre une gentille (mais naïve) famille d'Ostende ou de Séoul de dépenser trois salaires et demi pour une fondue trop chère à Lauterbrunnen, faites-moi le plaisir de venir saluer les tombes de mes ancêtres par vous-même.
Sans filtre Instagram ni gourde sponsorisée par Swiss Tourism, le «paradis sans plage, ni cocotiers» risque de vous sembler aussi paradisiaque que la banlieue de Charleroi au milieu du mois de janvier.