La restauration manque de bras. Le constat est le même d'un bout à l'autre de la Suisse, les établissements peinent à recruter du personnel qualifié. «J'ai mis des offres au début de l'été, je n'ai reçu que trois ou quatre CV et aucun ne correspondait», confie Loïc Liechti, patron du Scapino à La Chaux-de-Fonds (NE).
Une situation qui a surpris le restaurateur. «D'habitude, dans notre secteur, on trouve toujours quelqu'un, même en urgence pour le lendemain.» Face à cette pénurie Loïc Liechti a été forcé de prendre des mesures drastiques: «J'ai supprimé le service du midi pour me concentrer sur le soir et je ne propose plus qu'un menu unique.»
Même son de cloche du côté de Christophe Roduit qui gère trois établissements à Lausanne dont la Brasserie de Montbenon. «On a énormément de difficulté à recruter, surtout en cuisine. Alors on a dû réadapter notre carte et notre fonctionnement.» À quelques reprises, le patron a même dû se résoudre à limiter le nombre de tables pour garantir la qualité de son offre.
«Il y a beaucoup d'incertitudes dans notre secteur. L'avenir n'est pas garanti et certains établissements ne sont pas sûrs de pouvoir rester ouverts», approuve Maurice Paupe, président de Gastro Jura. Face à la pénurie de personnel, lui a décidé de fermer tous les dimanches soir. Confrontés aux mêmes difficultés, certains de ses confrères ont, eux aussi, choisi de restreindre leur carte ou leurs horaires d'ouverture.
Pour expliquer la réorientation de nombreux serveurs et cuisiniers, le patron du Café de la Poste à Saignelégier (JU) met en avant le rythme de vie des employés de la restauration. «Les périodes de fermetures leur ont peut-être ouvert les yeux sur le fait que c'était agréable d'avoir ses soirées et ses week-ends de libres.»
Loïc Liechti va dans le même sens. «Les places dans les cuisines des EMS où le travail est moins stressant et où les journées finissent plus tôt ont été prises d'assaut», explique-t-il. Autre frein, d'après Christophe Roduit, une partie du personnel œuvrant dans la restauration helvétique vient de l'étranger, de France et d'Italie notamment. «Forcément, avec la pandémie, il est plus difficile de voyager pour eux.»
Et le responsable de la Brasserie de Montbenon de rappeler: «C'est impossible de s'improviser cuisinier. Au service, si vous êtes motivé et sympathique, les gens sont assez compréhensifs. Mais si votre plat de pâtes n'est pas salé, vous n'allez pas le manger.»
Maurice Paupe confirme l'expérience nécessaire pour être efficace en cuisine. «Ce qui est très spécifique à nos métiers, c'est le coup de feu de midi, tout le monde veut être servi en dix minutes. Il faut être capable de supporter cette pression et ne pas mettre les deux pieds dans le même soulier.»
De son côté, GastroSuisse affirme que plus de 50 000 emplois ont disparu dans le secteur de l'hôtellerie et de la restauration durant la pandémie. «Le taux de chômage dans le domaine a fortement augmenté au printemps. Beaucoup de travailleurs manquaient de perspective et ont été poussés à changer de secteur.»
Problème, maintenant que les restaurants rouvrent leurs portes, de nombreuses annonces sont publiées et il n'y a plus assez de personnel pour y répondre. Un phénomène qui va impacter la branche à long terme, selon la faîtière:
Pour tenter de résoudre l'équation, Gastro Suisse a décidé de lancer une campagne de recrutement nationale à l'automne nommée «RockYourFuture». «Les nouvelles générations cherchent davantage un équilibre entre vie privée et vie professionnelle. Nous réfléchissons donc à comment réduire cette contrainte des horaires», observe Victor Hauser-Da Cunha, directeur des ressources humaines du Beau Rivage Palace.
Le responsable reconnaît que même l'hôtellerie de luxe rencontre des difficultés à recruter du personnel qualifié en ce moment. Hasard ou pas, le restaurant d'Anne-Sophie Pic au sein du Beau Rivage a renoncé à son service du midi durant l'été. Est-ce dû à la pénurie de collaborateurs? «Je ne peux pas vous le confirmer», botte en touche la communication du palace.