Ça aurait pu être un grand triomphe. Le camp bourgeois est enfin parvenu à faire passer une réforme sociale, malgré l’opposition de la gauche et des syndicats. Mais l’heure n’est pas à la grande fête alors que le résultat s’est avéré beaucoup plus serré que ne le laissaient présager les sondages.
La population a soutenu à 50,6% le projet de loi sur l'AVS. L'âge de la retraite des femmes passe ainsi à 65 ans, la génération de transition recevant en contrepartie un supplément de rente. De plus, la perception de la rente est assouplie pour les hommes et les femmes. L’institution sociale recevra, en outre, plus d'argent: les électeurs ont dit «oui» à 55,1% à l'augmentation de la TVA à 8,1%.
Pour les bourgeois, il s'agit d'une victoire attendue depuis longtemps. Le pouvoir de blocage de la gauche a été brisé – même si c'est de justesse. «Ce résultat montre que même un compromis bourgeois en matière de politique sociale peut tenir devant le peuple», déclare le président du PLR Thierry Burkart.
C'est un jalon pour la prochaine réforme, dont il est déjà largement question. Le Parlement a chargé le Conseil fédéral de présenter d'ici fin 2026 un projet de stabilisation de l'AVS pour la période à partir de 2030. Deux initiatives populaires sont également en suspens: celle sur les rentes des jeunes libéraux-radicaux et le texte des syndicats pour une treizième rente AVS.
Cela remet inévitablement sur la table un sujet brûlant: la question de l'âge de la retraite. L'initiative des jeunes libéraux-radicaux demande que celui-ci passe d'abord progressivement à 66 ans, puis qu'il soit lié à l'espérance de vie. Le Conseil fédéral rejette l’idée. Il a, toutefois, précisé que la revendication d'un relèvement de l'âge de la retraite était «fondamentalement justifiée».
Les politiciens de gauche en particulier considèrent toutefois le résultat serré de dimanche comme un signe clair qu'une augmentation de l'âge de la retraite n'est pas susceptible de rallier une majorité. «Le score montre que cela n'est pas la bonne voie», déclare le président de l'Union syndicale suisse et conseiller national Pierre-Yves Maillard (PS/VD). Il rappelle que, selon les sondages, les femmes, en tant que personnes directement concernées, étaient majoritairement opposées au projet de l'AVS.
En cas de relèvement général de l'âge de la retraite, l'opposition serait encore plus forte, évalue Pierre-Yves Maillard. Pour la socialiste Barbara Gysi:
Matthias Müller, président des jeunes PLR, s'inscrit en faux. «On ne peut pas conclure de ce vote qu'une augmentation de l'âge de la retraite n'est pas susceptible de réunir une majorité politique», estime-t-il. «Ce qui importe, c'est que nous avons pu briser le pouvoir de veto de la gauche. La voie est maintenant libre pour des discussions constructives.» Il juge que sa formation a déjà franchi le pas avec son initiative. Il souligne:
L'initiative sur les retraites offre au Parlement la possibilité de prendre les choses en main: certains politiciens de droite caressent l'idée de concocter un contre-projet. D'autres mettent, en revanche, en garde contre une surenchère.
Il existe un consensus sur le fait qu'une nouvelle réforme est nécessaire pour que l'AVS repose sur des bases financières stables à l’horizon 2030. Les dépenses augmentent parce que la génération du baby-boom cesse de travailler et que l'espérance de vie s'allonge.
La forme exacte que devrait prendre cette réforme n'est, toutefois, pas encore définie. Deux idées se démarquent:
Des voix issues du PLR et de l'UDC militent notamment en faveur de la première: s'il s'avère que l'AVS va se trouver en difficulté, les politiques seraient contraints d'agir ou certaines mesures entreraient automatiquement en vigueur.
Le centre notamment soutient l’autre option: l'introduction d'une durée de travail à vie. Quelqu'un qui a fait un apprentissage à 16 ans pourrait ainsi prendre sa retraite plus tôt que quelqu'un qui ne commence à travailler qu'à 25 ans après avoir fait des études. Pour la conseillère nationale du centre Ruth Humbel:
La gauche considère également qu'il s'agit d'une approche intéressante, mais elle demande notamment des augmentations de rentes.
Les regards se tournent, cependant, d'abord vers la réforme du deuxième pilier. Lors de la campagne de votation, les partisans ont souligné la nécessité d'améliorer la situation des femmes en matière de retraite professionnelle. Leur stratégie: les femmes devront travailler un an de plus, mais en contrepartie, elles seront mieux couvertes par le deuxième pilier. Car aujourd'hui, les femmes touchent en moyenne un tiers de retraite en moins que les hommes et nombreuses sont celles qui n'ont pas de deuxième pilier.
Cette révision primordiale n'a pas décollé ces derniers temps. Le Conseil des Etats doit s'en occuper lors de la session d'hiver. Les travailleurs à temps partiel ou qui gagnent peu doivent être mieux traités. En bref, la question est donc de savoir s’ils doivent épargner davantage ou si la redistribution des rentes doit être améliorée. Actuellement, c'est la première option qui est privilégiée, la gauche insistant sur la seconde. Il est donc bien possible que les électeurs aient un jour le dernier mot – et que le pouvoir de blocage de la gauche soit à nouveau mis à l’épreuve.