Faut-il serrer la main d'un ennemi? C'est manifestement la question qui parasite la semaine de bon nombre d'observateurs. Mardi, à New York et durant la 77e Assemblée générale, le président de la Confédération a vanté la «neutralité» et le «consensus». Mais c'est une (désormais) célèbre poignée de main qui a tiré toute la couverture à elle. En Suisse, mais aussi dans le reste du monde.
In #NYC, #Switzerland’s president Cassis @ignaziocassis held a meeting with #Russia’s FM Lavrov. Lavrov represents Russia, a country conducting a barbaric war of territorial conquest and genocide against #Ukraine.
— Alex Kokcharov (@AlexKokcharov) September 21, 2022
Very bad optics, Switzerland. Very bad. pic.twitter.com/lKk5ksrybi
D'autant que personne n'a véritablement été pris de cours entre deux petits-fours: en marge du raout onusien, le patron du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) s'est entretenu avec son homologue russe Sergueï Lavrov. Bien sûr, Cassis ne s'est pas retenu d'évoquer ses «inquiétudes» au sujet de l'arme nucléaire, de tenter de saper l'organisation de «ces soi-disant référendums dans les territoires occupés de l’Ukraine» ou encore d'exiger, une nouvelle fois, le retrait «immédiat» des troupes russes.
Alors pourquoi l'accuse-t-on aujourd'hui de pactiser avec le diable en personne?
Coup de fil au politologue René Knüsel: «En diplomatie, la poignée de main, ce n'est jamais anodin. Ce n'est jamais qu'une bête poignée de main. Et elle prend vie la plupart du temps autour d'un accord officiel». Un autre René, Schwok cette fois, est d'accord avec Knüsel: «C'est non seulement organisé avec minutie, mais le geste est souvent âprement négocié, entre les différents hauts fonctionnaires et très en amont de la rencontre».
Le professeur au Département de science politique et relations internationales de l'Université de Genève (Unige) se veut également pragmatique: «Dans une guerre, lorsqu'on veut conserver son rôle de médiateur, il paraît difficile de refuser la poignée de main».
Le Kremlin répète, dès qu'il en a l'occasion, que la Suisse doit «retrouver sa neutralité» au plus vite. Giflé récemment par ses collègues du Conseil fédéral pour sa volonté de moderniser ladite neutralité de notre pays, Ignazio Cassis avait bien un message dans la paume de sa main: «Les bons offices restent nos instruments de dialogue».
Selon nos deux politologues, une poignée de main est effectivement un «instrument de dialogue. Surtout si le message qu'il transmet n'est pas politique, mais plus volontiers humanitaire, domaine dans lequel la Suisse est toujours très efficace», nous dit René Schwok. Un geste que le professeur considère comme «un peu maladroit», mais la polémique est malgré tout «disproportionnée».
Un «message» qui ne semble pas pour autant totalement assumé par Ignazio Cassis, puisqu'il a décidé de ne pas publier le serrage de mains avec Lavrov. Alors que toutes les autres se retrouvent sagement affichées dans une série de diapositives.
The #UNGA77 was a great opportunity to nourish existing partnerships and form new ones 🤝 Thankful for many great exchanges with leaders from across the world, among others @trussliz 🇬🇧, @sanchezcastejon 🇪🇸, @karlnehammer 🇦🇹 , @JohnKerry 🇺🇸 pic.twitter.com/LfSDSFKQQN
— Ignazio Cassis (@ignaziocassis) September 22, 2022
Choisir de garder son poing dans la poche dans le cadre d'une rencontre diplomatique de cette importance aurait signifié «une fermeture totale, une rupture sèche et un refus net de maintenir le contact», analyse René Knüsel. De plus il aurait été compliqué, ensuite, pour un chef d'Etat «ouvertement médiateur» et qui cherche à «rétablir un certain équilibre diplomatique», de proposer une explication «mesurée».
Il est donc probable que les mots de Corleone dans Le parrain 2 aient fortement résonné dans la tête du président de la Confédération mardi dernier: «Sois proche de tes amis, et encore plus proche de tes ennemis».