L'image a commencé à circuler sur les réseaux sociaux il y a quelques jours: une affiche estampillée du logo de la Confédération appelant à dénoncer les voisins qui chauffent trop leur logement, avec une récompense de 200 francs à la clé.
Les autorités n'ont rien à voir avec cette affiche, qui est en vérité un montage. La Confédération s'en «distancie formellement» et une enquête a été ouverte. Reste qu'elle a été énormément partagée, et pas seulement en Suisse. Un internaute a dressé une liste des comptes Twitter qui l'ont diffusée: on en dénombre une bonne trentaine, écrits en plusieurs langues, de l'espagnol au chinois en passant par le russe. Plusieurs médias étrangers en ont également parlé.
Les journalistes intrigués par cette fake news et les trolls ne sont pas les seuls à s'être intéressés à la fausse affiche. Cette dernière a également été reprise par des médias et des internautes pro-Kremlin. C'est ce qu'explique le chercheur Marc Owen Jones dans un fil Twitter. Selon l'historienne et spécialiste de l'Europe de l'Est Anne Applebaum, il s'agit d'un «bon exemple» de propagande russe.
La fausse affiche a d'abord été partagée par plusieurs comptes privés douteux, à l'image d'une certaine Dagny Taggart, qui affirme être une Ukrainienne née dans le Donbass et vivant au Royaume-Uni. Son tweet a obtenu plus de 2000 likes et a été retweeté plus de 1000 fois. Quelques jours plus tard, son «account» a été suspendu.
La publication de Dagny Taggart a été retweetée par George Galloway, homme politique et journaliste anglais dont le compte Twitter a été labellisé «média d'Etat russe» à cause de ses positions pro-Kremlin, ce que l'intéressé n'a pas apprécié.
La nouvelle a également été diffusée par des comptes plus directement liés à la Russie. La célèbre chaîne TV pro-Kremlin Sputnik, interdite de diffusion dans l'Union européenne (UE) après le début de l'invasion de l'Ukraine, a notamment écrit sur Twitter:
Concerned citizens
— Sputnik (@SputnikInt) September 10, 2022
In Switzerland, a new kind of "cooperation" with authorities has appeared: if a neighbor warms up their house to more than 19 °C, then one may report it through a phone helpline and get 200 francs in return
PHOTOhttps://t.co/c5MrQXVskU
Il est intéressant de remarquer que le tweet date du 10 septembre, soit un jour avant que les médias suisses alémaniques ne révèlent l'existence de ce montage, ainsi que son caractère faux.
Autre exemple: l'ambassadeur adjoint russe auprès de l'Organisation des nations unies (ONU), Dmitry Polyanskiy, a également partagé le tweet de Dagny Taggart. Ironiquement, le diplomate affirme sur sa description Twitter «détester les mensonges et fake news».
Cet exemple confirme surtout une tendance observée depuis le début de la guerre: à cause de l'interdiction des médias d'Etat traditionnels, la propagande du Kremlin s'appuie désormais sur les diplomates russes. Pour ces derniers, rapportait l'Associated press (AP) en avril, «la désinformation fait partie du boulot».
Les partages imprudents de Galloway et Polyanskiy peuvent paraître anecdotiques. Selon Marc Owen Jones, cela montre cependant que ces gens, suivis par des milliers de personnes, n'hésitent pas à retweeter des comptes inconnus comme Dagny Taggart, qui diffusent des mèmes non confirmés et, dans ce cas, carrément photoshopés.
La promotion de cette fake news par des médias d'Etat et des responsables russes a bien d'autres implications, selon le chercheur:
De manière générale, l'exemple de la fausse affiche semble s'inscrire dans la nouvelle stratégie de propagande que le Kremlin a mise sur pied dans les derniers mois. Pour contourner les sanctions et les interdictions, rappelait fin août la start-up Newsguard, Moscou mène une action de «démultiplication des plateformes» et est désormais actif sur plusieurs canaux. Une tactique discrète et redoutable, qui arrive parfois jusqu'en Suisse.