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Pénurie de médecins spécialistes en Suisse: «Le système est engorgé»

Le personnel médical du CHUV en décembre 2021.
Le personnel médical du CHUV en décembre 2021.Image: keystone

Pénurie de médecins: «La Suisse prend le même chemin que la France»

Lorsqu'il faut rapidement consulter un spécialiste, l'obtention d'un rendez-vous peut se transformer en parcours du combattant, surtout quand nous sommes un nouveau patient. Pourquoi? Dr Philippe Eggimann, vice-président de la Fédération des médecins suisses (FMH), nous éclaire sur la situation.
01.02.2024, 18:5201.02.2024, 18:59
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Pourquoi est-ce si difficile d'obtenir un rendez-vous avec un médecin spécialiste?
Philippe Eggimann: Premièrement, car nous sommes face à une génération de médecins issus des baby-boomers toutes spécialités confondues. Lorsqu'on observe les médecins installés, 20% ont plus de 65 ans, 30% ont plus de 60 ans et presque 45% ont plus de 55 ans.

«Ils diminuent donc leur activité parce qu'ils arrivent à l'âge de la retraite ou parce que leur situation financière le leur permet»

Certains toutefois continuent de travailler, car ils ont une patientèle et personne pour prendre la relève. Deuxièmement, parce que la croissance démographique en Suisse est importante avec comme conséquence l'augmentation de la demande. Troisièmement, parce que la pandémie a engendré un changement dans la manière de consulter.

Philippe Eggimann, vice-président de la Fédération des médecins suisses (FMH)
Dr Philippe Eggimann, vice-président de la Fédération des médecins suisses (FMH).Image: Gilles Weber

C'est-à-dire?

«Les gens de 20 à 60 ans consultent plus, toutes spécialités confondues»
Philippe Eggimann, vice-président de la Fédération suisse des médecins (FMH)

Avant la pandémie ils allaient chez le médecin pour savoir ce qu'ils avaient. Aujourd'hui ils consultent pour être sûrs de ne pas avoir telle ou telle maladie. Les seuils de tolérance et d'incertitude face à des symptômes ont diminué.

La pénurie de médecins spécialistes dans le canton de Vaud s'observe-t-elle ailleurs en Suisse?
C'est un problème global qui est cependant moins visible dans les cantons où il y a de grandes villes. A Fribourg ou en Valais par exemple, la pénurie est plus importante. Une partie des Romands viennent d'ailleurs consulter dans les cantons de Vaud ou de Genève.

En 2017, le Conseil fédéral a lancé un programme spécial à hauteur de 100 millions de francs pour augmenter le nombre de diplômés en médecine. Dès 2025, ils seront 1300, soit 200 de plus qu'en 2021. Ce n'est pas suffisant?
Non. Le programme du Conseil fédéral servait à encourager les cantons à augmenter le nombre de places dans les facultés de médecine. L'Université de Lausanne par exemple est passée de 150 à 220 places. Genève également a fait un pas dans ce sens. Mais ce n'est pas suffisant.

Pourquoi?
Avant de pouvoir être autonome en tant que médecin, indépendant ou salarié dans un centre médical ou dans un hôpital, il faut au minimum 5 ans pour les pédiatres et les psychiatres par exemple, 10 ans pour les neurologues ou les cardiologues, et plus de 10 ans pour toute spécialité opératoire ou technique. Les médecins-cadres ont quant à eux besoin d'une quinzaine d'années d'expérience.

«Le nombre de médecins formés est donc moins important que le nombre de médecins qui arrêtent leur activité»

Des solutions sont-elles en cours d'élaboration pour remédier à cette pénurie?
Oui. Actuellement dans le canton de Vaud, nous sommes en train de mettre en place des mesures qui permettront à d'autres professionnels du domaine médical de prendre en charge certaines tâches.

En quoi cela consistera-t-il?
Des infirmiers et infirmières seront spécifiquement formés à des pratiques dites avancées qui leur permettront soit sous responsabilité déléguée ou sous leur propre responsabilité de faire une partie du travail des médecins. Mais la pénurie actuelle de soignants rend cette solution délicate à mettre en place. Les pharmaciens développent aussi des formations pour réaliser des prestations jusque-là réservées au corps médical. Finalement, la troisième solution se base sur ce qui se fait déjà dans les pays anglo-saxons et en Allemagne: la mise en place de physician associates qui travaillent sous la responsabilité des docteurs et les soutiennent dans la prise en charge des patients.

Quand est-ce que ces mesures seront-elles effectives?
Nous sommes en train de travailler dessus. Je ne peux pas vous donner de date pour le moment. Elles prendront plusieurs années à être mises en place.

Aujourd'hui, que peut-on faire lorsqu'on a besoin de consulter d'urgence un spécialiste? Est-ce qu'il faudra bientôt faire des kilomètres pour voir un médecin comme c'est le cas dans d'autres pays en Europe?
En France par exemple, la situation est préoccupante: il y a une forte pénurie de médecins et la Suisse doit faire attention, car elle est en train de prendre le même chemin.

«Pour l'instant, je suggère aux personnes de se tourner vers des solutions alternatives lorsqu'elles sont absolument besoin de consulter»
Philippe Eggimann, vice-président de la Fédération suisse des médecins (FMH)

Par exemple?
Certains assureurs ont une offre de télémédecine. Un premier diagnostic est posé par téléphone permettant ainsi de savoir s'il faut ou non aller consulter. Autre possibilité: envoyer des photos aux services spécialisés des hôpitaux, comme celui de dermatologie par exemple. Les médecins évaluent ainsi le degré d'urgence et fixent les rendez-vous en fonction. D'ailleurs, la Société vaudoise de médecine est actuellement en train de mettre en place un système similaire auprès des cabinets indépendants.

C'est-à-dire?
Un médecin spécialiste de garde s'occupera de trier les patients selon le degré d'urgence. Les personnes seront ensuite envoyées chez un dermatologue, un allergologue, un ophtalmologue ou autre qui auront des plages horaires de libres à disposition. Notre but est de modifier l'organisation de la garde médicale pour offrir une meilleure prise en charge des urgences différées (lorsqu'un problème de santé peut être traité avec un délai).

Quand est-ce que ces solutions seront effectives?
A nouveau, ces mesures sont difficiles à mettre en place. Les médecins de garde sont en grande partie des indépendants et le resteront. Ils ont des cabinets à charge, des frais fixes à payer. Si personne ne vient consulter, cela leur fait perdre de l'argent et d'autres patients attendent inutilement. Actuellement, la situation en Suisse est compliquée.

«Le système est engorgé, les médecins sont énormément sollicités et souffrent de cette pression»

Mais des solutions sont en cours d'élaboration. Nous devons optimiser les ressources à disposition afin de pouvoir améliorer la prise en charge de la population suisse.

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source: keystone / jean-christophe bott
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