On pourrait penser qu'il n'y a rien de plus controversé dans une initiative populaire fédérale que son titre. Ils sont parfois très courts, comme en 2001:
Ou parfois, ils peuvent être infiniment longs, comme ce fut le cas en 2014:
Dans la vie de tous les jours, on l’abrégeait avec le titre «Initiative sur le financement de l’avortement».
Les titres des initiatives peuvent être choisis plus ou moins librement par le comité principal. Ils ont une importance particulière, car ils sont imprimés sur le bulletin de vote et déterminent – dans une certaine mesure -, ce qui sera effectivement discuté. On se souvient de l’initiative sur le renvoi, qui portait officiellement le titre d’initiative populaire «pour le renvoi des étrangers criminels» ou en allemand «für die Ausschaffung krimineller Ausländer». Avant l’initiative de l’UDC, le verbe allemand «ausschaffen» n’était utilisé que pour les choses. Si on parlait de personnes, les germanophones utilisaient les verbes «ausweisen» ou «abschieben».
Dans le passé, les titres d'initiative n'ont pas été utilisés pour le framing politique. Les initiateurs ont été particulièrement créatifs afin de dissimuler ou d’abréger le contenu du nouveau texte constitutionnel. Nous nous souvenons de «l'initiative Minder»:
Ce projet de loi ne luttait pas directement contre les rémunérations abusives. Il voulait créer des possibilités démocratiques de base dans les sociétés de holding pour pouvoir voter sur les salaires des cadres supérieurs. Toutefois, si l'initiative avait été intitulée «pour l'introduction de possibilités démocratiques dans la détermination des salaires», elle n'aurait probablement pas été acceptée aussi facilement. Cette réflexion a soulevé une question à Berne:
La discussion pour des titres plus neutres a été initiée il y a des années par des avocats et des professeurs de droit public. Cette année, elle est entrée au Parlement fédéral grâce à une motion. C’est le conseiller national PLR neuchâtelois Damien Cottier qui a déposé une initiative parlementaire audacieuse en 2020. Dans la justification, il a pris l’exemple de l’initiative de limitation de l’UDC, en réalité appelée «initiative populaire pour une immigration modérée». L’opposition l’a renommée «initiative de résiliation». Finalement, les discussions n’étaient plus compréhensibles: les partisans et les opposants utilisaient des mots différents pour parler de la même chose.
Damien Cottier n'a pas voulu donner d'instructions sur la manière dont les initiatives populaires devraient sonner plus «neutres». Cependant, il a fait référence à un débat qui s'est tenu dans le monde juridique, où le modèle de la Californie en a convaincu certains.
De quoi parle-ton? L'Etat américain dispose d'une loi sur les initiatives semblables à celle de la Suisse. La différence réside dans le fait que ce sont les autorités qui nomment l'initiative systématiquement et avec des mots-clés. L’expert suisse en droit constitutionnel Andreas Auer a apprécié cette manière de faire et l’a exprimé dans un article. Il a trouvé un titre neutre pour l’initiative sur l’immigration de l’UDC selon le modèle américain. Son résultat:
Il aurait également été possible d'utiliser des chiffres au lieu des titres, comme dans les films et les séries américaines. Lorsqu’un référendum y est annoncé, on entend des slogans comme «Dites oui à D-23».
Cependant, la proposition de Damien Cottier n'a pas été convaincante. La commission des institutions politiques du Conseil national l'a rejetée par 19 voix contre 5. Elle estime qu'il ne serait pas facile pour une autorité de trouver des titres objectifs. Des litiges surviendraient et des procès menaceraient d'éclater. Et, de toute façon, la population discuterait des initiatives avec leurs titres populaires. De plus, si un comité décidait d’adopter un titre trop «sensationnel», c’est l’opposition qui réagirait et la balance s’équilibrerait.
Ce que la commission n’a mentionné que brièvement c’est que la Chancellerie fédérale est autorisée à dire «Niet» si un comité choisit un titre trompeur pour son initiative populaire. Dans le passé, cela ne s’est produit que deux fois. En 1998, par exemple, la Chancellerie fédérale a précisé le titre de l'initiative populaire «pour la liberté de parole» en ajoutant «levée simultanée de l’interdiction du racisme».
Le fait que cela ne se soit produit que deux fois est dû à un obstacle plutôt élevé dressé par le Tribunal fédéral. Ce dernier a statué que les comités peuvent utiliser un titre d'initiative «publicitaire» ou «non neutre». Cependant, il n'est pas clair à quel moment on peut déjà parler de tromperie de l'électorat.
La question se pose également de savoir ce qu'apporte réellement un titre d'initiative fortement embelli, judicieusement choisi ou exagéré. La recherche politique ne dispose pas encore de résultats définitifs à ce sujet. En 2016, la politologue Anja Heidelberger a, toutefois, constaté que les électeurs sont mieux à même de se souvenir de certains titres et que cela a également un effet sur la décision d’aller voter. Son analyse, publiée sur le blog «defacto.expert», n'a pas pu confirmer le danger d'être trompé par des titres d'initiatives sur la base des données. Toutefois, cela ne signifie pas que l'affirmation est réfutée.
La discussion est donc susceptible de se poursuivre. Bien que la proposition de Damien Cottier ait été rejetée par la commission préliminaire, elle n'a pas encore été renvoyée. Dans les mois à venir, elle sera discutée au sein du Conseil national dans son ensemble. Si elle échoue à nouveau, ce sera la fin. Dans le cas contraire, la Commission compétente du Conseil des Etats pourra en rediscuter.
Traduit de l'allemand par Charlotte Donzallaz, le texte original ici.