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FIFDH 2025: Lina a filmé la révolution en Syrie, elle raconte

5 Seasons of Revolution.
La réalisatrice Lina a capturé des images de la Syrie, de 2011 à 2015.Image: 5 Seasons of Revolution

«C'est pour ça qu'ils ne m'ont pas torturée»: elle a filmé la Syrie

De 2011 à 2015, la réalisatrice syrienne Lina a suivi celles et ceux qui se sont soulevés contre le régime de Bachar al-Assad. Elle présentera son film au FIFDH le 8 mars prochain. Entretien.
02.03.2025, 07:0703.03.2025, 10:06
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Les images ont été capturées avec tout ce qu'elle pouvait trouver pour documenter. Depuis les premiers jours de la révolution syrienne, en 2011, et jusqu'en 2015, la réalisatrice et journaliste Lina, originaire de Damas, a filmé la révolte et la répression qui a suivi. Elle faisait partie d'un collectif d'activistes opposés au régime sanguinaire de Bachar al-Assad.

Caméras cachées, fouilles arbitraires, arrestations, manifestations, changements de prénoms pour ne pas se faire repérer par les autorités: le film 5 seasons of revolution sera diffusé le 8 mars au Festival du film et forum international sur les droits humains de Genève (FIFDH).

Désormais installée en Europe, Lina revient sur cette période et raconte les dessous de la réalisation de son film.

Pourquoi sortir ce film près de 10 ans après le tournage?
Lina:
Parce qu'il a fallu beaucoup de temps pour le terminer, notamment pour des raisons de sécurité. Les personnes changeaient souvent d'avis quant à leur volonté d'apparaître, ou non, à l'écran. Il leur a fallu des années pour prendre une décision. Je devais donc à chaque fois modifier leur histoire.

Lina, réalisatrice et journaliste syrienne.
Lina, journaliste et réalisatrice syrienne. Elle présentera son film 5 seasons of revolution le 8 mars au FIFDH à Genève.Image: Lina

Lorsqu'on sait la violence avec laquelle le régime de Bachar al-Assad réprimait la contestation, vous n'avez jamais eu peur?

«Bien sûr que j'avais peur. Mais trop d'atrocités ont été commises, je ne pouvais pas les normaliser. Si je n'avais pas agi, je n'aurais pas pu me regarder dans un miroir»
Lina, réalisatrice et journaliste.

Nous (réd: Lina faisait partie d'un groupe d'activistes syriens) aurions cependant pu en faire davantage si nous n'avions pas été fatigués, apeurés, toujours en train de calculer les risques.

«Par moment, tu te dis que ce que tu fais est inutile, futile. Tu es découragé»

Mais nous étions courageux, chacun à notre façon, et c'est ce qui a fait notre force. Par exemple, j'avais peur des manifestations dans la rue, car je courais le risque de me faire tirer dessus. De plus, si tu es attrapé dans ce contexte, il est difficile de nier ou de te défendre. Susu (réd: l'une de ses amies activistes) aimait confronter les autorités en les regardant dans les yeux. Moi, en revanche, j'étais plus à l'aise dans les négociations lors des interrogatoires aux postes de contrôle, situés un peu partout dans le pays.

Comment se déroulent ces contrôles?
Ils ne sont pas systématiques. Ils dépendent de plusieurs facteurs: démographiques, de genre, de classe sociale. Par exemple, si tu es un homme qui vient d'un petit village et d'une famille pauvre, tu as peu de chance de t'en sortir. Au contraire, si tu es une femme riche originaire de la capitale, tu recevras un autre traitement. La valeur d'une vie diffère si tu es une femme. Sachant qu'on nous traitait mieux, nous nous devions de prendre plus de risques.

«Après, c'était tout de même le chaos. Il n'y avait aucune garantie. C'était une question de chance. Nous jouions à la roulette russe»
Lina, réalisatrice et journaliste syrienne.
Lina en Syrie.Image: Lina

Avez-vous observé une escalade de l'oppression?
Les deux, trois premières années, les manifestations étaient massives. Les autorités ne pouvaient pas suivre ni garder les personnes en prison longtemps. C'est pour cela qu'au départ, les prisonniers étaient libérés rapidement.

«Plus le temps passait, moins il y avait de personnes actives dans la contestation. Les gens étaient tués. Ma dernière détention, la troisième, a duré 40 jours. Certains de mes amis n'ont jamais été libérés. En 2013-2014, les choses sont devenues plus terrifiantes, car le régime pouvait se le permettre.»

Pourquoi avez-vous été arrêtée?
J'étais à Alep. Selon les hommes du régime, je n'avais pas l'air à ma place. Ils ont fouillé mon sac, trouvé ma caméra, mon ordinateur, mes micros. Tout était crypté, ils n'avaient donc rien pour m'incriminer. Ils ont toutefois essayé de me faire avouer que j'étais journaliste et que je collaborais avec l'opposition. Je ne connaissais pas le contexte local. Il était donc difficile de trouver des arguments pour m'en sortir. Normalement, je savais quand je pouvais traverser une zone sans attirer l'attention. Mais cette fois-ci, je portais les mauvais vêtements et je n'aurais pas dû être seule.

Comment s'est passée cette dernière détention, la plus longue, que vous racontez d'ailleurs dans votre film?
Chaque détention est différente. Cela dépend de la branche sécuritaire qui t'arrête et de pourquoi tu es arrêté. Lors de mon dernier emprisonnement, j'ai été interrogée une douzaine de fois.

«J'étais dans une pièce d'environ trois mètres sur un mètre et demi. A la base, ce n'était pas une cellule mais une chambre pour les gardes. Ils ont mis toutes les femmes de la prison à l'intérieur. Nous étions 40. Tu ne pouvais pas te coucher. Ma nuque me fait encore mal aujourd'hui.»

Pourquoi avez-vous été libérée?
Pour plusieurs raisons. Parce qu'ils n'ont pas assez d'espace pour garder tout le monde. Parce que je viens de la capitale. Et parce que je suis journaliste, un facteur qui peut te porter préjudice, comme te protéger. Ils avaient peur que je crée un scandale en sortant.

«C'est pour cela qu'ils ne m'ont pas torturée, contrairement aux autres femmes»

Quand et pour quelles raisons avez-vous quitté la Syrie?
Je suis partie en 2016. Les dernières années avant mon départ, il était difficile de bouger dans le pays pour filmer en raison du siège imposé par le régime sur les villes. De moins en moins d'activistes restaient en Syrie. Nous en étions arrivés à un stade où si l'un de nous était arrêté, il y avait de fortes chances que d'autres arrestations suivent. Je ne pouvais plus faire grand-chose sans mettre les autres en danger. Pour continuer mon travail, cela faisait plus de sens d'être en-dehors du pays.

«La décision a été difficile à prendre. Je savais qu'une fois hors de Syrie, je ne pourrais plus revenir, car je faisais partie des personnes recherchées»

Décembre 2024 a marqué la fin du régime de Bachar al-Assad. Comment avez-vous vécu ce moment?
C'était beaucoup d'émotions: de l'euphorie, de l'espoir, de la peur. La situation me paraissait irréelle. J'avais abonné l'idée de retourner en Syrie.

Pensez-vous retourner un jour en Syrie?
Je suis retournée à Damas le 14 décembre. Pour la première fois, avec d'autres journalistes, nous nous sommes réunis ouvertement, en utilisant nos vrais noms, et avons pu parler de notre travail. La boucle était bouclée.

Comment voyez-vous le futur?

«Une phase de transition est toujours difficile. J'espère juste que, cette fois-ci, nous prendrons le bon virage»
Lina, réalisatrice et journaliste.

Le FIFDH a lieu du 7 au 16 mars 2025. Le film «5 seasons of revolution» sera diffusé le samedi 8 mars à 15 heures. Pour plus d'informations, cliquez ici.

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