Les images ont été capturées avec tout ce qu'elle pouvait trouver pour documenter. Depuis les premiers jours de la révolution syrienne, en 2011, et jusqu'en 2015, la réalisatrice et journaliste Lina, originaire de Damas, a filmé la révolte et la répression qui a suivi. Elle faisait partie d'un collectif d'activistes opposés au régime sanguinaire de Bachar al-Assad.
Caméras cachées, fouilles arbitraires, arrestations, manifestations, changements de prénoms pour ne pas se faire repérer par les autorités: le film 5 seasons of revolution sera diffusé le 8 mars au Festival du film et forum international sur les droits humains de Genève (FIFDH).
Désormais installée en Europe, Lina revient sur cette période et raconte les dessous de la réalisation de son film.
Pourquoi sortir ce film près de 10 ans après le tournage?
Lina: Parce qu'il a fallu beaucoup de temps pour le terminer, notamment pour des raisons de sécurité. Les personnes changeaient souvent d'avis quant à leur volonté d'apparaître, ou non, à l'écran. Il leur a fallu des années pour prendre une décision. Je devais donc à chaque fois modifier leur histoire.
Lorsqu'on sait la violence avec laquelle le régime de Bachar al-Assad réprimait la contestation, vous n'avez jamais eu peur?
Nous (réd: Lina faisait partie d'un groupe d'activistes syriens) aurions cependant pu en faire davantage si nous n'avions pas été fatigués, apeurés, toujours en train de calculer les risques.
Mais nous étions courageux, chacun à notre façon, et c'est ce qui a fait notre force. Par exemple, j'avais peur des manifestations dans la rue, car je courais le risque de me faire tirer dessus. De plus, si tu es attrapé dans ce contexte, il est difficile de nier ou de te défendre. Susu (réd: l'une de ses amies activistes) aimait confronter les autorités en les regardant dans les yeux. Moi, en revanche, j'étais plus à l'aise dans les négociations lors des interrogatoires aux postes de contrôle, situés un peu partout dans le pays.
Comment se déroulent ces contrôles?
Ils ne sont pas systématiques. Ils dépendent de plusieurs facteurs: démographiques, de genre, de classe sociale. Par exemple, si tu es un homme qui vient d'un petit village et d'une famille pauvre, tu as peu de chance de t'en sortir. Au contraire, si tu es une femme riche originaire de la capitale, tu recevras un autre traitement. La valeur d'une vie diffère si tu es une femme. Sachant qu'on nous traitait mieux, nous nous devions de prendre plus de risques.
Avez-vous observé une escalade de l'oppression?
Les deux, trois premières années, les manifestations étaient massives. Les autorités ne pouvaient pas suivre ni garder les personnes en prison longtemps. C'est pour cela qu'au départ, les prisonniers étaient libérés rapidement.
Pourquoi avez-vous été arrêtée?
J'étais à Alep. Selon les hommes du régime, je n'avais pas l'air à ma place. Ils ont fouillé mon sac, trouvé ma caméra, mon ordinateur, mes micros. Tout était crypté, ils n'avaient donc rien pour m'incriminer. Ils ont toutefois essayé de me faire avouer que j'étais journaliste et que je collaborais avec l'opposition. Je ne connaissais pas le contexte local. Il était donc difficile de trouver des arguments pour m'en sortir. Normalement, je savais quand je pouvais traverser une zone sans attirer l'attention. Mais cette fois-ci, je portais les mauvais vêtements et je n'aurais pas dû être seule.
Comment s'est passée cette dernière détention, la plus longue, que vous racontez d'ailleurs dans votre film?
Chaque détention est différente. Cela dépend de la branche sécuritaire qui t'arrête et de pourquoi tu es arrêté. Lors de mon dernier emprisonnement, j'ai été interrogée une douzaine de fois.
Pourquoi avez-vous été libérée?
Pour plusieurs raisons. Parce qu'ils n'ont pas assez d'espace pour garder tout le monde. Parce que je viens de la capitale. Et parce que je suis journaliste, un facteur qui peut te porter préjudice, comme te protéger. Ils avaient peur que je crée un scandale en sortant.
Quand et pour quelles raisons avez-vous quitté la Syrie?
Je suis partie en 2016. Les dernières années avant mon départ, il était difficile de bouger dans le pays pour filmer en raison du siège imposé par le régime sur les villes. De moins en moins d'activistes restaient en Syrie. Nous en étions arrivés à un stade où si l'un de nous était arrêté, il y avait de fortes chances que d'autres arrestations suivent. Je ne pouvais plus faire grand-chose sans mettre les autres en danger. Pour continuer mon travail, cela faisait plus de sens d'être en-dehors du pays.
Décembre 2024 a marqué la fin du régime de Bachar al-Assad. Comment avez-vous vécu ce moment?
C'était beaucoup d'émotions: de l'euphorie, de l'espoir, de la peur. La situation me paraissait irréelle. J'avais abonné l'idée de retourner en Syrie.
Pensez-vous retourner un jour en Syrie?
Je suis retournée à Damas le 14 décembre. Pour la première fois, avec d'autres journalistes, nous nous sommes réunis ouvertement, en utilisant nos vrais noms, et avons pu parler de notre travail. La boucle était bouclée.
Comment voyez-vous le futur?
Le FIFDH a lieu du 7 au 16 mars 2025. Le film «5 seasons of revolution» sera diffusé le samedi 8 mars à 15 heures. Pour plus d'informations, cliquez ici.