L'interprétation de la neutralité de la Suisse anime les débats. Au niveau national, les présidents du PLR et du Centre critiquent fortement la situation. Au niveau international, le vice-chancelier allemand Robert Habeck a déclaré dimanche à Davos: «Si l'on refuse de livrer des armes, on ne fait plus la différence entre l'agresseur et l'agressé. Une loi qui est quasiment aveugle à la Russie et à l'Ukraine est une loi qui ne comprend plus la réalité.» Le président letton, Egils Levits, a lui aussi déclaré:
Le président de la Confédération Ignazio Cassis vient de lancer le nouveau couple de concepts de la «neutralité coopérative». Mais actuellement, le débat sur la neutralité suisse tourne surtout autour de la question des livraisons d'armes en Ukraine. La position du Conseil fédéral à ce sujet était jusqu'à présent immuable: la livraison d'armements de fabrication suisse à l’Ukraine est exclue. Et ce, même si un pays qui a acheté ces biens en Suisse par le passé souhaite les livrer. La loi sur le matériel de guerre ne le permet pas.
C’est à cette loi que se référait la critique ouverte de Habeck à l’encontre de la Suisse. Par exemple, le char antiaérien allemand Gepard comporte des armements fabriqués en Suisse. Il ne peut donc pas être livré à l’Ukraine. Un autre exemple est le missile antichar NLAW, fabriqué en Grande-Bretagne. Dans son ogive se trouve une charge creuse fabriquée exclusivement à Thoune.
Cette interprétation restrictive du droit de la neutralité pourrait à long terme remettre en question la place de l'armement en Suisse. Indirectement, cela remettrait également en doute le principe de la neutralité armée. En effet, si la Suisse insiste sur l'interdiction de livrer à l'Ukraine, les groupes internationaux qui dominent l'industrie de l'armement en Suisse pourraient bien quitter le pays.
Certes, la Suisse pourrait s’en sortir sans son industrie d’armement. L'armée achèterait toutes ses armes à l'étranger. Mais la politique de sécurité officielle de la Confédération contredit cette idée. En effet, elle prévoit qu’en cas de guerre, la Suisse ne dépende pas seulement des biens d'armement provenant de l'étranger, mais que les autres Etats dépendent également de ceux produits en Suisse.
Mardi, la ministre de la Défense Viola Amherd s'est exprimée pour la première fois sur cette contradiction lors du WEF à Davos. Elle a reconnu une certaine pression liée au problème:
Le scénario selon lequel l'ensemble de l'industrie de l'armement quitterait la Suisse est quand même «trop extrême» à ses yeux. Mais elle met en garde: «C'est un thème que nous devons, à mon avis, prendre en compte dans la discussion en général. Si nous voulons être neutres, nous avons besoin d'une certaine autonomie dans le domaine de l'armement.» La condition préalable serait la Base industrielle et technologique de sécurité (BITS), qui serait en contact avec l'Office fédéral de l'armement, Armasuisse, et qui veillerait au savoir-faire national.
Interrogée, Viola Amherd a esquissé une issue possible. Le Parlement devrait à nouveau réviser la loi sur le matériel de guerre, après avoir durci les dispositions sur l'exportation l'année dernière. La réforme est entrée en vigueur le 1er mai. «En principe, le droit de la neutralité permettrait ce qu'on appelle un échange circulaire de matériel de guerre», a déclaré la Conseillère fédérale.
Un pays qui possède déjà des armes avec des composants provenant de Suisse pourrait les remettre à l'Ukraine. Ensuite, il aurait le droit de racheter des munitions pour ses propres troupes. Par contre, il ne serait toujours pas permis de remettre directement à l'Ukraine des armes provenant de Suisse. Une telle réforme de la loi ne serait bien sûr pas réalisable à court terme et pourrait être contestée par référendum.
Viola Amherd a fait ces déclarations en marge d'une conférence de presse à Davos, après avoir rencontré le secrétaire général de l'OTAN, Jens Stoltenberg, pour un entretien. Même si les deux Etats neutres que sont la Suède et la Finlande rejoignent l'OTAN, le «partenariat pour la paix» avec l'OTAN doit être poursuivi.
Ces propos auraient été confirmés par Stoltenberg. Il aurait également signalé que l'OTAN était ouverte à une coopération plus poussée et plus approfondie avec la Suisse. Concrètement, cela serait possible dans le domaine de la cyberdéfense. Des exercices de troupes armées seraient également envisageables.
La Conseillère fédérale Amherd n’a pas vraiment réagi à ce sujet. Elle a simplement indiqué que d'ici l'automne, son département élaborera un rapport sur les domaines dans lesquels la coopération de la Suisse avec l'OTAN pourrait être approfondie.
Traduit de l'allemand par Charlotte Donzallaz