Cela fait trois ans que l'initiative sur les multinationales responsables a été rejetée. Pourtant, l'initiative a été acceptée par 50,7% des votants. Le projet n'a échoué qu'à la majorité des cantons. Mais le processus semble tout de même avoir porté certains fruits: l'Union européenne (UE) veille désormais à ce que certaines des principales revendications des initiants soient tout de même mises en œuvre en Suisse.
Concrètement, il s'agit de rendre les entreprises actives au niveau international responsables des violations des droits humains liées à leurs activités commerciales. Des accidents comme l'effondrement de l'usine de textile Rana Plaza au Bangladesh, qui a coûté la vie à plus de 1000 ouvriers qui produisaient des vêtements à bas prix pour des entreprises occidentales, ne doivent plus se reproduire.
En décembre, les États membres et le Parlement européen se sont mis d'accord sur de nouveaux devoirs de diligence étendus. Les règles de l'UE exigent que les entreprises de plus de 500 employés et d'un chiffre d'affaires annuel de 150 millions d'euros contrôlent l'ensemble de leurs chaînes d'approvisionnement et s'assurent qu'il n'y a pas de violations des droits de l'homme.
Pour les entreprises des secteurs à risque, le seuil est fixé à 250 employés et 40 millions de chiffre d'affaires. Si les entreprises ne respectent pas ce seuil et continuent à faire des affaires avec des fournisseurs qui exploitent leurs travailleurs, elles doivent pouvoir être poursuivies en justice. De nouvelles autorités de surveillance doivent en outre veiller au respect des règles et distribuer des amendes.
Le Conseil fédéral a fait examiner si et comment la législation européenne peut avoir des conséquences pour la Suisse. Conclusion: même si la Suisse n'est pas membre de l'UE, les conséquences sont importantes et «inévitables pour la plupart des entreprises actives à l'international et impliquées dans des chaînes de création de valeur». C'est ce qu'indique une étude publiée en décembre.
Entre 160 et 260 entreprises suisses devraient être directement concernées par cette nouvelle loi européenne. Mais la part de celles qui sont indirectement concernées est bien plus élevée: 50 000 sociétés suisses, dont la plupart sont des petites et moyennes entreprises (PME). Afin d'exclure tout risque de porter la responsabilité d'un drame humain, les entreprises de l'UE devraient transmettre les nouvelles obligations de diligence à leurs partenaires commerciaux suisses.
Selon les auteurs de l'étude, si les PME ne se préparent pas à temps, elles risquent d'être exclues des chaînes de création de valeur. En clair, cela signifie que les entreprises européennes pourraient résilier les contrats des entreprises suisses si celles-ci n'appliquent pas les nouvelles règles de l'UE.
Pour les petites et moyennes entreprises, il s'agit d'un véritable défi: il faudra notamment engager du nouveau personnel et mettre en place de nouveaux processus d'assurance qualité dans tous les domaines de l'entreprise. Si les grandes entreprises devraient pouvoir assumer cette tâche plus facilement, les coûts pourraient peser lourd dans la balance pour les PME. Les auteurs de l'étude estiment le coût annuel total de ces changements à 6 milliards de francs.
Mais il existe aussi un potentiel de synergies. Ainsi, l'Allemagne et la France ont par exemple déjà introduit une loi sur la chaîne d'approvisionnement, à laquelle de nombreuses entreprises suisses sont déjà confrontées. De même, dans le cadre de la contre-proposition de l'initiative multinationales reponsables, le Conseil fédéral a introduit dans le Code des obligations (CO) un paragraphe lié à la diligence qui doit désormais être respecté par 1200 entreprises suisses, par exemple pour éviter le travail des enfants. Afin d'éviter les doublons, ces mesures pourraient être remplacées par une reprise intégrale des nouvelles règles de l'UE. Cela aurait «tendance à apporter un peu plus d'avantages», indique l'étude.
Le Groupement des entreprises multinationales (GEM), basé à Genève, s'est également prononcé en faveur d'une harmonisation rapide du droit suisse. Cela permettrait de créer une sécurité juridique et de réduire la charge administrative globale.
Les initiants de «mutlinationales responsables» ont créé, dans le sillage de leur échec, la «Coalition pour des multinationales responsables». Le but? Maintenir la pression sur cette thématique et rappeler la promesse de la ministre de la Justice de l'époque, Karin Keller-Sutter, d'agir de manière «coordonnée au niveau international» en matière de responsabilité sociale des entreprises.
Le moment est venu de le faire: la Suisse sera «bientôt le seul pays d'Europe sans responsabilité des entreprises». Et pour s'assurer que «le sujet ne soit pas repoussé aux calendes grecques dans la Berne fédérale», la coalition a même annoncé une nouvelle initiative populaire. La collecte de signatures devrait débuter cet été.
Traduit et adapté par Noëline Flippe