La semaine d’actions contre le racisme, qui s’ouvre ce lundi à l’Université de Lausanne dans un climat marqué par une polémique, s’inscrit résolument dans l’idéologie décoloniale, grande inquisitrice de l’Occident. La journée de mercredi sera l’un des temps forts du programme avec la conférence donnée par le professeur et activiste Kehinde Andrews, titulaire de la chaire d'études noires à la Birmingham City University. «Décoloniser le savoir et l'enseignement», tel est l’intitulé de la conférence.
D’origine afro-caribéenne, âgé de 41 ans, Kehinde Andrews est un habitué des plateaux télé au Royaume-Uni, où il aime croiser le fer avec ses adversaires. Il tient des propos disruptifs, pour ne pas dire provocateurs, censés renverser la perspective.
En février 2020, il écrivait un tweet qui indignait:
The British empire lasted far longer, did more damage and in many ways paved the way the Nazi's and their genocidal ideology. We do no favours to the victims of the Holocaust by pretending otherwise. If we forget the past we are likely to repeat ithttps://t.co/QWphGiYWyc
— Kehinde Andrews (@kehinde_andrews) February 3, 2020
Dans le même esprit, le 11 octobre dernier, quatre jours après l’attaque du Hamas, il écrivait, dans un article intitulé «Nous ne devrions jamais confondre la terreur avec la révolution»:
Si, disait-il dans cet article, l’attaque d’un festival de musique ou du kibboutz de Kfar Aza, le 7 octobre, par le Hamas, est «indéfendable», tout comme l’était avant cela la transformation par Israël de la bande de Gaza en «une prison à ciel ouvert», il affirmait que le Hamas, tenu pour «un groupe terroriste par l’Occident», est «engagé dans une résistance violente contre Israël». Les récents propos polémiques de la «papesse» des études de genre et figure de la gauche décoloniale américaine, Judith Butler, qualifiant la tuerie du Hamas d’«acte de résistance armée», vont dans le même sens.
Dans son article du 11 octobre, Kehinde Andrews ne semble pas disconvenir que la tuerie du 7 octobre est de nature terroriste, mais seul Israël, en empêchant toute solution, en serait responsable. De la même façon, le professeur de Birmingham impute le terrorisme de Boko Haram ou des Shebab, deux terribles groupes djihadistes présents en Afrique, à des situations de blocage. D’aucuns reconnaîtront là le vieux discours tiers-mondiste.
Mais le cœur du propos du professeur d'études noires à la Birmingham City University est sa dénonciation de l’Occident blanc. Toujours à propos du massacre du 7 octobre, il écrit:
Kehinde Andrews a publié en septembre un essai intitulé «The Psychosis of Whiteness» (la psychose de la blanchité), un titre «provocateur», a écrit le quotidien de centre-gauche britannique The Guardian. On pourrait résumer le propos de l’auteur en disant que l’Occident refuse de se voir dans le miroir, car il y verrait sa vraie nature, suprémaciste, quand il se prétend tolérant.
Le discours de Kehinde Andrews se rapproche de celui des Indigènes de la République en France. Ce groupe militant, où l’antisionisme le dispute à l’antisémitisme, décrit les juifs d’Israël comme les «supplétifs» de l’Occident, en d’autres termes, comme des collabos, ce qu’étaient les harkis durant la guerre d’Algérie aux yeux des Indigènes de la République. Faut-il en déduire que les Israéliens ne sauraient être victimes, eux qui sont les oppresseurs et alliés de l'Occident, selon la vision décoloniale? Par extension, que les juifs ne peuvent pas se dire victimes de racisme, contrairement aux Noirs et aux Arabes? Pour nombre de juifs, ces raisonnements sont insupportables.
Le professeur Kehinde Andrews a pris la défense l’an dernier d’une ancienne députée noire du Parti travailliste, Diane Abbott, suspendue par celui-ci après qu'elle eut publié une lettre dans l’hebdomadaire The Observer. Elle y écrivait que les juifs, les Irlandais et les gens du voyage sont «sans aucun doute victimes de préjugé», mais «ne sont pas soumis toute leur vie au racisme», contrairement aux personnes noires. Cette lettre rouvrait les plaies d’un parti accusé de dérive antisémite sous la direction de Jeremy Corbyn.
Sinon, Kehinde Andrews avait choqué en 2018 en affirmant que Churchill ne devrait pas être traité en héros, lui qui, disait-il, a condamné à la famine des milliers d’Indiens durant la Seconde Guerre mondiale. En septembre 2022, à la mort de la reine Elisabeth II, il choquait encore en déclarant que la défunte symbolisait la «suprématie blanche» et le «colonialisme», et qu’à ce titre, il n’était «pas certain d’être triste».
Israël, l’Occident, les nazis, Churchill, Elisabeth II: autant de déclarations chocs qui font ou ont fait le buzz et qui ont manifestement retenu l'attention des organisateurs de la semaine d'actions contre le racisme à l'Université de Lausanne. Joint dimanche via X (ex-Twitter), Kehinde Andrews n'a pas répondu ou n'aura pas vu la sollicitation de watson.
Toute la démarche de ce professeur, le premier au Royaume-Uni à la tête d'une chaire d’études noires, semble poursuivre un but: ébranler les fondements de l'Occident et contester la singularité de la Shoah. Le principal, sinon l’unique bénéficiaire de cette entreprise «déconstructionniste» pourrait bien être l’extrême droite.