Il y a parfois des signes, discrets mais coriaces, qui nous font supposer qu’il se trame quelque chose. Sans excès de dramaturgie. Tenez, par exemple, Laurent Kaiser. Le directeur du Centre des maladies virales émergentes des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) vient de créer son compte Twitter. (Oui, en mai 2022.) Son premier post? La variole du singe. Le ton est peu guilleret, mais la publication a eu son succès.
La variole du singe n’est pas un compagnon tolérable de l’homme: se rappeler que son cousin la variole humaine était un tueur. Son contrôle passera par l’application intransigeante des principes de base: dépistage large, traçage des cas, quarantaine et isolement. Tres vite.
— Laurent Kaiser (@LaurentAFKaiser) May 26, 2022
«La variole du singe n'est pas un compagnon tolérable de l'homme. Se rappeler que son cousin la variole humaine était un tueur.» Clair, net et un poil effrayant. Laurent Kaiser ne voudrait manifestement pas entendre parler d'un virus qui serait devenu, soudain, incontrôlable. On lui lance un coup de fil, le jour même, pour avoir l’esprit tranquille. Le mot «tueur» n’est pas idéal avant de traverser le pont de l'Ascension.
Pas de bol, après avoir lâché son premier tweet, l'homme est parti «en vacances, il est injoignable», nous dit son assistante. Un poil frustré, on fouille un peu. Le même spécialiste a donné une interview au journal Le Temps il y a quelques jours. S'était-il montré moins alarmiste? A vous de juger.
Pour le côté rassurant, on repassera. Même si l'expert préfère tout de même croire à l'hypothèse d'une «contamination au départ dans un des pays endémiques».
Plusieurs choses sont certaines au sujet de la variole du singe. Le virus n'est pas né de la dernière pluie (1959). Le monde scientifique le connaît. Du moins beaucoup mieux que le SARS-CoV-2 il y a deux ans et des poussières. Il appartient à la famille des orthopoxvirus. Tout comme la variole, la «vraie», celle qui a tué passablement d'êtres humains et qui a été totalement éradiquée en 1980.
Trois cas ont été détectés en Suisse en quelques jours, plus de 300 dans le monde. «Une croissance apparemment exponentielle, avec un doublement des cas rapportés tous les trois ou quatre jours», signale Antoine Flahault, directeur de l'Institut de santé globale (ISG) à la faculté de médecine de l'université de Genève (Unige), dans Slate. L'Office fédéral de la santé publique de Suisse (OFSP) étudie en ce moment un éventuel achat de vaccins. Et les autorités cantonales veillent.
«La variole du singe est bel et bien un cousin germain de la variole humaine, mais autrement moins dangereuse.» Celui qui nous rassure un peu, c'est Blaise Genton. Attrapé au bout du fil vendredi, le médecin-chef de la Policlinique de médecine tropicale, voyages et vaccination d’Unisanté nous jure qu'il ne faut pas «s'inquiéter plus que de raison». Plus que de raison? On en profite tout de même pour lui soumettre l'hypothèse que cette poussée de cas en Europe puisse être liée au bioterrorisme. Nous sommes quand même en pleine guerre sanglante. Et, fun fact (ou pas), après les attentats du 11 septembre 2001, la Confédération avait acheté trois millions de doses de vaccin antivariolique de première génération, «par crainte d'attaques terroristes à l'arme biologique».
«La variole du singe provoque régulièrement des épidémies en Afrique. Et j'anticipe votre prochaine question: oui, il y aura forcément un mort, en Occident, un jour. Mais ça ne changera pas le travail qui est réalisé aujourd'hui et il n'y aura aucune raison de paniquer. Et il faut se rappeler, aussi, que les pays africains bénéficient d'un système de soins souvent moins performant que le nôtre.»
Pour notre expert, l'hypothèse la plus probable, c'est donc qu'une personne infectée en Afrique se soit retrouvée en situation idéale pour contaminer un certain nombre de gens en très peu de temps. Kaiser et Genton sont donc du même avis. On respire un peu.
On soumet également à Blaise Genton le fait que la population, mais certainement aussi le monde scientifique, a été profondément traumatisée par la pandémie de Covid-19. Que l'émergence d'un virus en Occident, qui plus est «du singe» et qui dessine boutons et croûtes sur l’épiderme, notamment sur le visage, n'est pas accueillie avec la plus franche sérénité.
Certes. Mais Blaise Genton veut aussi tirer du bon de ces deux longues années de marathon pandémique. Elles nous ont, notamment, aidé à «mieux comprendre les déterminants, à mieux anticiper, à déployer un système efficace de traçage. Nous sommes plus tranquilles aujourd'hui».
La particularité de la variole dite «du singe», c'est qu'elle touche, encore aujourd'hui, plus volontiers les hommes et qu'elle pourrait être sexuellement transmissible. «Ce n'est pas le cas. Le fait que le virus ait besoin d'un contact très rapproché prête à confusion.»
Sur ce point, tout le monde semble se rejoindre sur une stratégie: la vaccination en anneaux. Elle consiste «à vacciner tous les individus ayant été en contact avec un sujet présentant une infection confirmée, ainsi que toutes les personnes en contact avec ce premier cercle de sujets contacts». Mais avec quel vaccin?
Minute théorique: il existe trois générations de vaccin antivariolique. Les deux premières avaient été utilisées contre la variole «humaine», jusqu'en 1972. L'OFSP précise aussi que les personnes vaccinées avant cette date auront «probablement une certaine immunité» contre la variole du singe.
En ce qui concerne la troisième génération, sur laquelle les Etats-Unis et l'Europe comptent aujourd'hui, sa «tolérance» est meilleure. En clair: les effets secondaires sont beaucoup moins nombreux et handicapants. Précisons tout de même, en Suisse, les vaccins de la dernière génération ne sont, pour l'heure, pas autorisés. D'ailleurs, pourquoi faut-il commencer à vacciner?
Pour Blaise Genton, «une vaccination ciblée des contacts proches permettrait d'éviter la transmission dans l’entourage». Mais le défi actuel est ailleurs aujourd’hui: suivre l’évolution épidémiologique, tester en cas de suspicion forte et isoler les quelques cas documentés. Notre spécialiste révèle qu’en ce moment, quelques tests par jour sont réalisés en Suisse «et les symptômes ressemblent beaucoup à ceux de la varicelle».
Avant de laisser notre expert profiter de son week-end, on lui pose une dernière question catastrophiste: «La poussée de cas de variole du singe peut-elle ressusciter la variole "humaine"?» Notre question est bête, mais la réponse est, sans surprise, intelligente:
A l’heure de publier ces quelques lignes, deux personnes à risque ont reçu leur premier shoot vaccinal chez nos voisins français et l’Organisation mondiale de la santé (OMS) redoute que les cas recensés jusqu’ici dans le monde «ne soient que le sommet de l’iceberg».
Et, nous, on ne se réjouit qu’à moitié du deuxième tweet de Laurent Kaiser, à son retour de vacances.