Ce mardi, deux «patates», tracées à la craie sur le sol de la voie 4, témoignent du drame survenu à la gare de Morges, lundi en fin d’après-midi. Pas de sang. Mais ces dessins informes. Le plus grand indique peut-être la place du corps. Le plus petit, celui d'un couteau ou d'un autre objet. Un homme de 37 ans, décrit comme zurichois et de nationalité suisse, est mort. A Morges, 16 000 habitants, une ville d'ordinaire si discrète.
L'individu a été abattu par un policier, alors qu’il se montrait «menaçant» envers ce dernier et son collègue qui l’accompagnait. Une vidéo, tournée par un témoin, publiée par 20 Minutes, le montre courant en direction des deux agents, dont l'un riposte mortellement. La police cantonale vaudoise se refuse pour l’heure à fournir de plus amples informations sur l’identité et les éventuelles motivations de la victime, en l’occurrence l’assaillant, qui aurait exhibé un couteau. Des témoins l’auraient aperçu plus tôt en train de prier. Les autorités n'ont fait aucun commentaire à ce propos.
Les faits se sont déroulés aux alentours de 18 heures. Un jeune de 21 ans, en apprentissage de commerce à la gare CFF de Morges, dit avoir été prévenu par un homme du comportement «bizarre» de l’individu en question. «Ma collègue et moi, on est allé voir. Mais on s’est trompé de quai. On est reparti et c’est là qu’on a entendu des détonations. On a cru que c’était des pétards. C’est quand on a vu arriver l’ambulance et les urgentistes, qu’on s’est dit que c’était sûrement plus grave.»
Cette mort violente s'ajoute à une autre, elle aussi survenue dans le quartier de la gare, à Morges. C'était il y a moins d'un an. A posteriori, cela commence à faire beaucoup pour cette localité romande, satellite de Lausanne, longtemps quelconque dans le périmètre de la gare, charmante quand on s'approche du Léman. Le 12 septembre 2020, un Turco-Suisse radicalisé, connu des renseignements pour propagande djihadiste, tuait d’un coup de couteau Joao, un Portugais de 29 ans, attablé avec des amis à la terrasse d’un kebab.
Kadir, un Kurde patron du restaurant, se souvient très précisément de l’heure de l'assassinat. «Il était 21h18. Joao était un habitué des lieux. C'était quelqu'un de vraiment gentil. Je me souviens, il ne parlait pas très bien français. Ce soir-là, ils étaient onze à table, sept filles et quatre garçons, parmi eux Joao. Le tueur s’est jeté sur lui et lui a donné un coup de couteau. J’ai appelé la police. Trois minutes plus tard, une ambulance était là», raconte Kadir tout en touillant dans une sauce blanche fromagère placée sur le feu.
«Sept des amis de Joao présents ce soir-là sont venus récemment manger au restaurant. Ce sont eux qui déposent ici de temps en temps des fleurs en mémoire de leur copain», reprend le patron du kebab. Sûrement feront-ils de même le 12 septembre prochain.
Lundi soir, Kadir, dont le restaurant a vue sur la gare, n’a rien entendu. «On m’a dit que la police avait tiré, c’est tout», confie-t-il. La police et la gare de Morges, ça fait un. La première patrouille régulièrement dans ces parages sujets à bagarres, deals de drogue et divers larcins. Ce mardi matin, elle est omniprésente.
Le gérant du McDo, situé aile ouest de la gare, abonde: «Il y a des matins, on retrouve sur le sol des sacs vides, dépouillés de leur contenu», témoigne-t-il. La plupart des délits ont lieu à la nuit tombée. Deux gymnasiens sont assis sur un banc face à l'enseigne américaine. «On connaît la mauvaise réputation de la gare», disent-ils machinalement, assurant n’y avoir eux-mêmes jamais fait de mauvaises rencontres.
«Vous savez, les gares, c’est un peu partout pareil, ça attire les marginaux, les trafics en tout genre », relativise Céline*, serveuse dans un bar du vieux Morges. «Mais deux morts violentes en deux ans, c’est affreux», rectifie-t-elle.
Pascal*, la trentaine, un client du bar, soupçonne la police d’avoir, lundi, sur le quai de la voie 4, ouvert le feu de manière inconsidérée. Une bavure? Il en réfère à George Floyd, le Noir américain dont la mort par étouffement sous le poids d'un policier a donné naissance au mouvement Black Lives Matter. «Au lieu de tirer, ils auraient pu utiliser un spray au poivre ou leur taser, s’ils en ont un», reproche-t-il.
Céline regrette cette mort, mais elle pense au policier qui a fait usage de son arme et pour qui «ça doit être dur en ce moment». Selon plusieurs témoignages recueillis par 20 Minutes, la victime se serait relevée après deux premiers coups de feu, avant qu'un troisième ne l'atteigne, la faisant chuter définitivement. L'homme de 37 ans aurait alors été menotté et laissé au sol dans cet état pendant environ cinq minutes. Les secours ne seraient intervenus qu'ensuite, tentant vainement de le réanimer. Morges n'est peut-être pas «le grand village» décrit par Céline.
Place de la Gare, le café PMU a disparu. C’est tout un quartier qui fait peau neuve. Des immeubles de facture récente apportent du frais à cet endroit autrefois plutôt ingrat. Un prix international d’architecture décerné cette année a récompensé ces nouveautés. Deux tours asymétriques, couleur sable, donnent à ce Morges vaudois une touche d’Arizona. «La transformation n’est pas finie. Progressivement, la faune indésirable refluera», veut croire un commerçant. Pour l'heure, une enquête est en cours.
*Prénoms modifiés