C’est un Tariq Ramadan manipulateur et pervers que Brigitte, 57 ans, a dépeint durant son audition, mardi, devant le tribunal correctionnel de Genève. «Il prenait mon poignet qui cherchait à saisir mon portable, il disait: "Occupe-toi de ton homme".» «Il ouvrait grand sa bouche, il me râpait la mienne avec ses dents. Il me reprochait de ne pas répondre à ses baisers qui n’en étaient pas.»
La nuit du 28 au 29 octobre 2008 dans un hôtel genevois fut une nuit de violences, de pénétrations vaginales répétées de Tariq Ramadan sur la personne de Brigitte, selon le récit de cette dernière. «Dans vos dépositions, vous avez dit que vous n’avez pas crié parce que vous aviez peur, mais à la police, vous avez dit que vous n’avez pas pensé à crier. Pourquoi?» Sa réponse: «Dire que je n’ai pas pensé à crier, ça ne veut rien dire du tout. Au début des violences, je me suis exclamée, "mais arrête, putain!", ou quelque chose comme ça. Je n’ai pas crié par la suite, parce que ça ne servait à rien.»
La première fois que Brigitte dit avoir vu Tariq Ramadan, c’était en août 2008, lors d’une séance de dédicaces à la libraire Payot de Genève. Lundi, lors de son audition, l’islamologue a affirmé que le livre que la plaignante prétend s’être fait dédicacer par ses soins n’était pas encore en vente et qu'«elle ment» sur les dates. Elle maintient que c’était en août. S’ensuivent des messages sur Facebook, jusqu’au rendez-vous du 28 octobre.
Le soir des faits présumés, Tariq Ramadan et Brigitte ont bu un café au bar-restaurant de l’hôtel – le prévenu dit que c’était dans le «lobby». «Il m’a accusée d’être membre des RG (réd: les Renseignements généraux français). Je ne savais même pas ce que ça voulait dire. J’ai répondu d’une boutade, mais cela ne l’a pas amusé», raconte-t-elle. A la fermeture du bar-restaurant, aux alentours de 10 heures, selon ses dires, elle et Tariq Ramadan montent dans la chambre de ce dernier. Pour poursuivre la conversation, dit-elle.
Dans ses déclarations, le premier assure être monté seul et qu’elle l’a rejoint après s’être renseignée sur le numéro de la chambre. Brigitte: «Il avait un sac de provisions, il disait que c’était sa mère qui le lui avait préparé.» Elle s’étonne à l’époque:
Lorsqu’il la soupçonne d’appartenir aux RG, elle se demande si Tariq Ramadan n’est pas un peu «fou».
La juge Alessandra Armati, l’un des trois magistrats du siège, met la plaignante face à la gravité de l’enjeu: ses accusations peuvent entraîner une condamnation potentiellement lourde du prévenu. Elle la confronte à d’apparentes contradictions et incohérences dans ses déclarations. «Mais pourquoi dites-vous avoir culpabilisé après cette nuit de baston, selon vos mots?», lui demande-t-elle.
Brigitte décrit les jours suivants le viol reproché:
Elle et Tariq Ramadan échangent alors sur messenger. Enfin, c’est elle, surtout, qui lui envoie des messages. «Je n’avais pas son numéro de téléphone, je ne l’ai jamais eu», dit-elle. Dans ses envois, auxquels elle mettra fin en février, affirme-t-elle, Brigitte n’évoque pas les violences sexuelles.
Elle n’évoquera pas non plus de viol dans ses divers écrits et correspondances concernant ses rapports avec Tariq Ramadan. Alors qu’elle entre en contact avec Caroline Fourest, l’essayiste française engagée contre l’islam politique et en lien avec d'autres futures plaignantes à l'époque, elle n’en parle pas.
Me Yaël Hayat, avocate de la défense, interroge Brigitte et s’interroge sur l'union religieuse entre cette dernière et son compagnon, plusieurs mois après les violences sexuelles présumées. Brigitte relate qu’elle avait appelé pour ce faire le Centre islamique de Genève, qu'elle était tombée sur son directeur, Hani Ramadan, frère de Tariq. Après l’avoir dirigée vers un autre responsable musulman genevois, Hani Ramadan lui aurait dit qu’«elle mériterait la mort» en raison de ses rapports hors mariage et que son futur mari devrait être puni de «cent coups de bâton».
La défense se demande pourquoi la plaignante n’a pas conservé d’autres preuves de sa nuit d'hôtel avec Tariq Ramadan que d’éventuelles extensions capillaires dans un «coffre en bois» confectionné par son «papa». Quid de ses vêtements? Elle n'a pas pensé les garder comme pièces à conviction. Elle n’avait pas la tête à ça. Le lendemain, elle aurait quitté les lieux sans avoir pris de douche. «Couverte de sang (réd: celui de ses règles, qu’elle avait à ce moment-là)», insiste Me Hayat. Elle devait partir, conduire ses enfants à l’école, puis passer sur son lieu de travail, répond la première, se disant sous le coup des événements de la nuit écoulée.
La défense lui fait remarquer qu'elle n'a pas mentionné le viol auprès de son psychiatre et que la plainte qu’elle dépose en 2018 contre Tariq Ramadan ne l’est pas formellement pour cette raison-là, mais pour contraintes sexuelles. Le descriptif de la plainte ne laisse cependant guère de doute à ce sujet.
«Pourquoi n’avez-vous pas utilisé le mot de viol plus tôt?», demande Me François Zimeray à sa cliente, qui commence bientôt à pleurer.
«Pourquoi n'avez-vous pas quitté la chambre lorsque Tariq Ramadan est allé aux toilettes?», enchaîne son autre conseil, Me Robert Assael. «J'étais hors service», répond-elle.
Brigitte raconte avoir eu une commotion cérébrale dans son enfance, qu’elle en est restée traumatisée. Que son compagnon la frappait à la tête. Que Tariq Ramadan l’a à son tour frappée à cet endroit dans la chambre d’hôtel.
Mardi après 18 heures, le tribunal devait entendre deux témoignages favorables au prévenu: la femme de ce dernier et l'un de ses anciens élèves. Le procureur devait ensuite présenter ses réquisitions, en attendant les plaidoiries de la partie civile et de la défense, mercredi.