Les conventions collectives de travail (CCT) doivent primer sur les lois cantonales en matière de salaire minimal. Par 109 voix contre 76, le National a validé, mardi, un projet du Conseil fédéral ce sens, que ce dernier a élaboré à contre-coeur sur mandat du Parlement. Le dossier part au Conseil des Etats.
Actuellement, une CCT ne peut être étendue que si elle ne contient rien de contraire au droit fédéral ou cantonal. Ainsi, les salaires minimaux cantonaux l'emportent sur ceux prévus par les CCT étendues.
Grâce au camp bourgeois, la Chambre du peuple a décidé de renverser la vapeur. Il faut pouvoir appliquer les clauses des CCT, de force obligatoire et fixées au niveau fédéral, même si elles fixent des salaires minimaux inférieurs à ceux inscrits dans les lois cantonales.
En clair, certains salaires pourraient baisser.
Pour la commission, Thomas Burgherr (UDC/AG) a salué la création d'une compétence fédérale qui fait défaut jusqu'à présent. Il s'est positionné en faveur d'une application homogène des CCT en Suisse, pour éviter «un patchwork». Les différences cantonales entraînent davantage de bureaucratie pour les entreprises et créent des inégalités.
Philipp Matthias Bregy (Centre/VS) a de son côté demandé de croire en le partenariat social, qui doit rester fort. Durant ce processus, les employeurs, les employés et le Conseil fédéral cherchent ensemble de bonnes solutions, a-t-il rappelé. Et de dire avoir confiance en toutes les parties, y compris les syndicats, pour bien négocier.
Le co-rapporteur Olivier Feller (PLR/VD) a estimé que le projet est conforme à la Constitution et à la démocratie. Dans cinq cantons (Genève, Neuchâtel, Jura, Bâle-Ville et Tessin), un salaire minimum a été introduit par décision populaire. Mais, selon le Vaudois, des dispositions prévoient déjà la primauté des CCT.
Lors d'un débat animé et émotionnel, la gauche et le PVL sont montés au créneau. Certes, les CCT sont importantes, mais elles ne sont «rien de plus que des contrats de droit privé entre parties», a argué Franziska Ryser (Vert-e-s/SG). Elles ne doivent pas primer sur des décisions légitimes du peuple. Jürg Grossen (PVL/BE) a critiqué le fait qu'on ne décide plus dans les urnes, mais à la table des négociations.
Les opposants au projet ont fustigé une atteinte à la démocratie directe. «Quel degré de confiance suscitez-vous quand vous dites aux gens que ce qu'ils décident ne vous plaît pas et que vous allez donc le changer?» a lancé Cédric Wermuth (PS/AG). S'adressant en particulier à l'UDC, il a demandé de respecter «le peuple souverain».
La modification touche en particulier les cantons romands, «pionniers dans la mise en place de salaires minimaux», a souligné Sophie Michaud Gigon (Vert-e-s/VD). Dénonçant aussi une atteinte au fédéralisme, Ryser a rappelé que, durant la consultation, 25 cantons se sont opposés au projet, jugeant que ce dernier touche à leur compétence en matière de politique sociale.
Il s'agit également d'une agression contre les salaires, a abondé Emmanuel Amoos (PS/VS). Il a regretté qu'on appauvrisse «encore plus les travailleuses et les travailleurs déjà précarisés». Et de chiffrer qu'à Genève, cela signifierait jusqu'à 500 francs de moins par mois dans le secteur de la restauration, ou jusqu'à 1000 francs de moins par mois pour les coiffeuses et coiffeurs.
Le camp rose-vert, qui ne voulait pas entrer en matière, a aussi échoué à renvoyer la copie au Conseil fédéral, afin de créer d'abord une base constitutionnelle. Il n'a pas réussi non plus à réduire la portée du projet, pour qu'il tienne compte des dispositions impératives cantonales adoptées en votation populaire, ou qu'il n'aggrave pas les salaires.
Le National a même été plus loin que le gouvernement, en précisant plus spécifiquement que les clauses sur le salaire minimum d'une CCT étendue ont la priorité.
L'affaire remonte à l'adoption par les Chambres fédérales en 2022 d'une motion du conseiller aux Etats Erich Ettlin (Centre/OW). Le Conseil fédéral a donc été contraint de légiférer.
Mais il est opposé au projet. Comme la gauche et le PVL, le ministre de l'économie Guy Parmelin a relevé que la modification porte atteinte à plusieurs principes. Il a ajouté qu'elle va à l'encontre de la hiérarchie des normes.
Le ministre a encore rappelé que le Tribunal fédéral a confirmé que les salaires minimaux cantonaux constituaient des mesures de politique sociale conformes à la Constitution. Sans succès.
Outre l'introduction d'un salaire minimum dans cinq cantons, deux initiatives vaudoises demandant un plancher horaire à 23 francs ont abouti. Une initiative a en outre été déposée dans le canton de Fribourg.
Le dossier passe au Conseil des Etats. (jah/ats)